Maurice, René, Rideau naît le 10 septembre 1910 à Châtellerault (Vienne), chez ses parents, Émile Rideau, 35 ans, charpentier, et Isabelle Herminie Audigué, 33 ans, son épouse, domiciliés au 31, rue du Crédit. Le nouveau-né est présenté à l’état civil par son père avec pour témoin son oncle, Jean-Baptiste Rideau, 38 ans, mouleur.
Le 1er août 1914, son père est rappelé à l’activité militaire par le décret de mobilisation générale, rejoignant cinq jours plus tard le 69e régiment territorial d’infanterie (RTI). Le 7 août 1915, il est blessé au bras gauche par un éclat de grenade. Le 18 juin 1916, il passe au 68e RTI. Le 23 avril 1917, il passe au 1er groupe d’aérostation. Mais, le 12 février 1918, la commission de réforme de Poitiers le propose pour la réforme n° 1 pour « sténose du pylône néoplasique, infirmité aggravée par les fatigues du service ». Quatre mois et demi plus tard, le 26 mai 1918, Émile Rideau décède au domicile familial (déclaré “Mort pour la France” le 8 septembre 1919). Le 2 février 1920, Maurice Rideau est adopté par la Nation en vertu d’un jugement rendu par le tribunal civil de Châtellerault.
Le 29 octobre 1932, dans cette ville, il se marie avec Olga Huberte Désirée Ceveau. Ils auront une fille, Nicole, née le 7 juin 1936.
Au moment de son arrestation, Maurice Rideau est domicilié au 29, rue Sully à Châtellerault. Il est marié et père d’un enfant.
Ajusteur, fraiseur-outilleur, il travaille à la Manufacture nationale d’armes de Châtellerault (« la Manu »), comme Charles Limousin.
Militant communiste, Maurice Rideau est l’un des dirigeants du syndicat CGT des métaux de l’usine.
Fin août 1939, il est mobilisé comme “affecté spécial” dans son entreprise, produisant pour la Défense nationale. Après la dissolution du Parti communiste, il doit signer une attestation par laquelle il s’engage sur l’honneur à ne plus y adhérer et à ne se livrer à aucune propagande en faveur de ce parti, condition probable pour conserver son emploi.
Néanmoins, sous l’occupation, avec Charles Limousin, Alfred Quinquenneau, et en contact avec Camille Blanzat, futur capitaine des Forces françaises de l’Intérieur, il participe à la diffusion de tracts et de journaux clandestins, lacère des affiches de l’occupant et sort des ateliers des armes en pièces détachées.
Le 6 mai 1941, la police effectue une perquisition à son domicile, qui reste infructueuse.
Le 23 juin 1941, dans la matinée, un agent subalterne du commissaire de police spéciale de la Sûreté nationale à Châtellerault reçoit du capitaine de la Kommandantur dans cette ville l’ordre de lui communiquer une liste de membres connus du parti communiste local. Il refuse et en informe le sous-préfet de Châtellerault. Au début de l’après-midi, le commissaire spécial lui-même reçoit cet ordre par écrit. Il en réfère à son tour au sous-préfet, qui se met immédiatement en communication avec le préfet de la Vienne, lui indiquant les noms de dirigeants du PC avant l’interdiction, lesquels figurent sur une liste établie quatre semaines plus tôt par un inspecteur de la Sûreté. Le préfet autorise finalement communication de ces noms aux autorités occupantes. Le commandant de la section de gendarmerie de Châtellerault est alors impliqué dans les opérations : « … à 15 h 30, les autorités allemandes, par l’intermédiaire du commissaire de police, donnent l’ordre de mettre à leur disposition, et pour 16 h 15, sept gendarmes. La mission donnée était d’inviter (sic) des personnes dont les autorités d’occupation avaient la liste à se présenter à la Feldgendarmerie. »
Dans la soirée, Maurice Rideau est arrêté à son usine par des Feldgendarmes. Le commandant français de gendarmerie rendra compte : « À 22 h 30, une quinzaine de personnes retenues parmi celles qui s’étaient présentées (re-sic) à la Feldgendarmerie étaient transportées dans deux voitures cellulaires vers un destination inconnue. » En fait, ils sont conduits au camp de la Chauvinerie, à Poitiers, une caserne réquisitionnée par l’occupant. Selon Maurice Rideau, de Châtellerault, rescapé, 33 communistes sont arrêtés ce jour-là dans la Vienne [1] ; 28 sont conduits à la Chauvinerie, 14 seront des “45000”.
Le 12 (ou le 14 juillet) à midi, à la gare de Poitiers, une trentaine de détenus de la Vienne sont embarqués dans un wagon, seuls avec leur escorte. Les soldats allemands repoussent brutalement certains parents et amis accourus sur place après avoir été alertés.
Les Viennois sont ainsi transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). Il semble que tous soient assignés au bâtiment A4 de l’ancienne caserne. Maurice Rideau y est enregistré sous le matricule n° 1190.
Le 13 septembre 1941, considérant que six internés, dont Charles Limousin, Raymond Montégut et Maurice Rideau, travaillaient à la Manufacture d’armes, la Feldkommandantur demande à la préfecture à « être renseignée le plus possible sur ces ouvriers ». Le jour même, répondant à un appel téléphonique du secrétaire général de la préfecture de la Vienne, le commissaire principal de police nationale à Poitiers écrit à propos de cinq ex-militants communistes, dont Charles Limousin et Maurice Rideau : « … arrêtés en juin 1941 par ordre des autorités allemandes, n’avaient pas spécialement attiré l’attention de mon service depuis la dissolution du Parti communiste. Il est vraisemblable que la plupart d’entre eux n’ont pas abdiqué leurs convictions (…). Mais aucun fait précis de propagande n’a pu être établi à leur encontre. » Le 16 septembre, l’inspecteur principal de police nationale à Châtellerault transmet au sous-préfet son propre rapport, avec les mêmes conclusions.
Dans cette période, à la Chauvinerie puis à Compiègne, Maurice Rideau et Alfred Quinqueneau subissent plusieurs interrogatoires par la « Gestapo » qui les accuse « d’avoir procuré des armes à une organisation de résistants ». Devant les dénégations de Maurice Rideau, il lui est donné connaissance d’une lettre anonyme dénonçant cette activité.
Le 5 mars 1942, le “conseiller d’administration de guerre” de la Feldkommandantur 677 écrit au préfet de la Vienne en lui envoyant une liste des internés originaires de son département : « La question du maintien de ces personnes au camp doit être mise à l’étude. Dans ce but, je vous prie de bien vouloir m’informer jusqu’à quel point le maintien dans le camp de chaque intéressé s’avère nécessaire. » Le 12 mars, le cabinet du préfet note : « Copie à M. le sous-préfet de Châtellerault pour fournir les éléments de réponse en ce qui concerne les onze internés domiciliés à Châtellerault et les neuf autres (domiciliés dans cet arrondissement). Copie à M. Le commissaire central de Poitiers pour enquêter et fournir d’urgence les éléments de réponse en ce qui concerne les quatre internés domiciliés à Poitiers. Copie à M. le maire de Saint-Cyr et à M. le maire de Linazay pour enquêter et fournir d’urgence les éléments de réponse en ce qui concerne les internés domiciliés dans leurs communes. »
Le 1er avril 1942, le préfet délégué de la Vienne signe une « liste nominative des personnes originaires du département de la Vienne internées au camp de Compiègne » – soit vingt-six militants communistes repérés par la police avant-guerre – et portant avis sur leur maintien ou non en internement au Frontstalag 122. Pour vingt-deux d’entre eux, la conclusion est : « Son maintien au camp ne semble pas nécessaire ». Concernant Maurice Rideau, et reprenant une courte note du commissaire de police de Châtellerault, cet avis est motivé comme suit : « Depuis la dissolution du parti, il ne s’est livré à aucune activité politique. »
Avant ou après son arrestation, « son épouse travaille comme femme de ménage pour les autorités d’occupation ».
Entre fin avril et fin juin 1942, Maurice Rideau est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Maurice Rideau est enregistré à Auschwitz sous le numéro 46056 (ce matricule sera tatoué sur son bras gauche quelques mois plus tard).
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oswiecim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau
Le 13 juillet, après l’appel du soir, Maurice Rideau est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.
Là, il est affecté au Kommando de la DAW (Deutsche AusrüstungsWerke, société SS, usine d’armement entre autres), où il est avec Gabriel Torralba.
Le 4 juillet 1943, comme les autres “politiques” français (essentiellement des “45000” rescapés), il reçoit l’autorisation d’écrire à sa famille (en allemand et sous la censure) et d’annoncer qu’il peut recevoir des colis.
À la mi-août 1943, il est parmi les “politiques” français rassemblés (entre 120 et 140) au premier étage duBlock 11, la prison du camp, pour une “quarantaine”. Exemptés de travail et d’appel extérieur, les “45000” sont témoins des exécutions massives de résistants, d’otages polonais et tchèques et de détenus du camp au fond de la cour fermée séparant les Blocks 10 et 11.
Le 12 décembre 1943, à la suite de la visite d’inspection du nouveau commandant du camp, le SS-Obersturmbannführer Arthur Liebehenschel, – qui découvre leur présence – et après quatre mois de ce régime qui leur a permis de retrouver quelques forces, ils sont pour la plupart renvoyés dans leurs Blockset Kommandos d’origine.
Le 3 août 1944, Maurice Rideau est parmi les trois-quarts des “45000” présents à Auschwitz qui sont de nouveau placés en “quarantaine” en préalable à un transfert.
Le 28 août 1944, il est dans le petit groupe de trente-et-un détenus dont vingt-neuf “45000” transférés au KL Flossenbürg [2] (Haut-Palatinat Bavarois, proche de la frontière tchèque) et enregistrés dans ce camp le 31 août (matricule n° 19 888).
Maurice Rideau survit en troquant, contre du pain et de la margarine, des objets pris dans le “Canada” (baraques où sont entassés les objets et les vêtements des déportés saisis par les SS à leur arrivée au camp).
Dans l’usine souterraine, où il est affecté comme régleur sur une vingtaine de machines à fileter, il organise le sabotage de celles-ci sans être inquiété.
Le 29 octobre, il est parmi les onze “45000” transféré à Wansleben (Kommando du KL Buchenwald), une usine de potasse (matr. n° 93 421).
Le 12 avril 1945, Wansleben est évacué à marche forcée par les SS. Maurice Rideau s’évade le 13 en compagnie d’André Gaullier (46238), mais il est repris, et de nouveau interné dans un camp proche de Halle.
Libéré le 14 avril 1945 par les troupes américaines, il rentre en France par avion, via Bruxelles, le 9 juin.
Très vite, il reprend le travail, réintégré à la Manufacture d’armes de Châtellerault. Le 24 juin 1946, il est “rayé des contrôles”, ayant obtenu sa mutation dans un établissement d’Issy-les-Moulineaux (une usine d’armement ?), puis à Vanves (Seine / Seine-Saint-Denis) où il retrouve Lucien Penner [3].
Le 15 octobre 1946, le divorce d’avec son épouse est prononcé suivant un jugement rendu par le tribunal civil de Châtellerault.
Pendant un temps, il habite au 9, rue Eugène-Varlin à Paris 10e.
Le 3 octobre 1959, à Paris 19e, il se marie avec Simone Quilleré.
Homologué comme Déporté résistant, officier de la Légion d’Honneur, Maurice Rideau décède le 2 ou le 20 février 1984 à Saint-Avertin (Indre-et-Loire).
Notes :
[1] L’ “Aktion Theoderich” : L’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est définit le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre. Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – arrestations et perquisitions à leur domicile – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante. En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich, plus de mille communistes sont arrêtés par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré par la Wehrmacht et réservé à la détention des “ennemis actifs du Reich”. Au total, 1300 hommes y seront internés à la suite de cette action. Fin août, 200 d’entre eux font déjà partie de ceux qui seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.
[2] KL : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.
[3] Vanves : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 73, 97, 151 et 152, 261, 268 et 269, 346 et 347, 359, 379 et 419.
Cl. Cardon-Hamet, Mille otages pour Auschwitz, Le convoi du 6 juillet 1942 dit des “45000”, éditions Graphein, Paris nov. 2000, page 431, 463.
Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” des Deux-Sèvres et de la Vienne (2001), citant : Maurice Rideau a entretenu une correspondance suivie avec Roger Arnould entre 1971 et 1982, et lui a donné témoignages et photos – Récit d’André Gaullier : l’évasion de 1945 – Article du Patriote Résistant, mensuel de la FNDIRP, signé par Floréal Barrier.
Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : dossier de Maurice Rideau (21 p 652 395), consulté par Ginette Petiot (message 11-2015).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 28-08-2021)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.