Maurice Voranget naît le 5 février 1901 à Elbeuf (Seine-Maritime [1] – 76), fils de Léopold Voranget, 28 ans, chaudronnier, et de Constance Dieudonné, 22 ans, native de la ville, journalière. Auparavant, le couple avait eu une fille, Magdeleine, et un garçon, Marcel, né le même jour, 6 juin 1899, reconnus et légitimés par leur mariage le 16 octobre 1899. Mais les parents divorcent en 1911, la mère épousant Édouard M. en secondes noces le 26 avril 1915 à Elbeuf.
Maurice Voranget commence à travailler comme journalier, habitant au 24, rue des Rouvalets, à Elbeuf.
Le 21 décembre 1920, à la mairie de Rouen, il s’engage volontairement pour quatre ans au 1er dépôt des équipages de la Flotte et arrive au corps le lendemain comme matelot de 3e classe. Le 25 avril 1921, le conseil de guerre maritime permanent à Cherbourg le condamne à six ans de travaux publics pour refus d’obéissance, rebellion par plus de deux personnes sans armes, et outrage à supérieur par paroles, gestes et menaces, jugement exécuté le 8 juin pour compter du 13 février précédent (certainement la date de son arrestation, soit moins de deux mois après son engagement…). Le 8 août 1924, sa peine est suspendue par le ministre de la Marine ; le 14 juin précédent, il avait été affecté au 5e dépôt. Le 5 octobre, il est renvoyé dans ses foyers, le certificat de bonne conduite lui étant refusé.
Le 21 janvier 1926, il débute sa carrière de cheminot comme homme d’équipe à l’essai aux Chemins de fer de l’État, compagnie qui fusionnera avec d’autres au sein de la SNCF début 1938 [2] ; il est affecté à Elbeuf-Saint-Aubin (attesté en octobre 1928).
Le 6 décembre 1924, à Elbeuf, il se marie avec Jeanne Jacquet, née le 18 mars 1905 à Paris 19e. Ils auront quatre enfants : Maurice (lui aussi) et Micheline, nés jumeaux le 7 septembre 1925 à Elbeuf, René, né le 26 septembre 1923, et Monique, née le 24 novembre 1931.
En février 1932, Maurice Voranget père habite côte des Hauts-Fourneaux à Grand-Quevilly (76), au sud-ouest de l’agglomération de Rouen, dans la boucle de la Seine
Deux mois plus tard et jusqu’au moment de son arrestation, il est domicilié au 11, rue Aimable-Pélissier à Grand-Quevilly.
En 1935, il est nommé aide-chaudronnier aux Ateliers SNCF de Quatre-Mares à Sotteville-lès-Rouen.
Membre de la direction du Syndicat des Cheminots, c’est aussi un militant communiste. Lors d’un scrutin restant à préciser, il est présenté comme candidat aux élections municipales. Pendant un temps, il est secrétaire du Comité Amsterdam-Pleyel.
Après l’interdiction du PCF puis sous l’occupation, il reste actif au sein du Parti communiste clandestin.
Le 3 octobre 1940, il fait l’objet d’une notice individuelle établie par le commissariat central de Rouen, qui note que « son domicile a fait l’objet d’une visite de la part de la gendarmerie allemande ».
Le 21 octobre 1941, Maurice Voranget est arrêté par des policiers français (L.A. 2804) lors de la grande rafle de Rouen et de sa banlieue [3].
Le 30 octobre 1941, il est interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne [3] (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager), où il est enregistré sous le matricule n° 1900.
Le 7 novembre 1941, Jeanne Voranget écrit à un haut responsable français (probablement Pierre Laval) afin de solliciter une mesure de clémence en faveur de son mari.
Entre fin avril et fin juin 1942, Maurice Voranget est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande, en application d’un ordre de Hitler.
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
- Les deux wagons à bestiaux
du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise
d’où sont partis les convois de déportation. Cliché M.V.
Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures puis repart à la nuit tombée : Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Maurice Voranget est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 46201, selon les listes reconstituées ; aucune photo de détenu de ce convoi n’a été retrouvée après le matricule 46172.
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20.
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu, ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.
Le 13 juillet, après l’appel du soir – l’ensemble des “45000” ayant passé cinq jours à Birkenau -, une moitié des membres du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I). Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Maurice Voranget.
Le 3 septembre, son épouse écrit de nouveau au « président Laval » dans l’espoir qu’il puisse « faire quelque chose » pour son mari.
Maurice Voranget meurt à Auschwitz le 4 novembre 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher).
Entre temps, le 19 octobre 1942, son fils Maurice, apprenti mécanicien qui vient tout juste d’avoir 17 ans, est arrêté par la Feldgendarmerie pour vol d’une bicyclette appartenant à l’armée allemande. Le 30 octobre, le tribunal militaire de la Feldkommandantur 517 à Rouen, le condamne à un an de prison comme délinquant de droit commun. À l’expiration de sa peine, il est transféré au Frontstalag 122 de Compiègne.
Le 17 janvier 1944, il est déporté par le transport 1/171 qui arrive au KL Buchenwald deux jours plus tard (matricule n° 40 045). Le 11 février, il est transféré à Dora. Le 27 mars, Maurice Voranget fils est transféré à Bergen-Belsen, où il meurt le 8 avril 1944, n’ayant pas encore atteint l’âge de 19 ans.
Le 15 juillet 1957, sa mère dépose une demande de titre et l’obtient pour lui le 15 janvier 1959 ; il est reconnu Déporté Politique.
La mention “Mort en déportation” est apposée sur l’acte de décès de Maurice Voranget père (J.O. du 9-12-2001).
Son nom est inscrit sur le monument aux morts SNCF des ateliers de Quatre-Mares de Sotteville-lès-Rouen et, à Grand-Quevilly, parmi les morts en déportation sous la plaque de la rue des Martyrs de la Résistance.
Probablement du fait qu’ils portaient le même prénom, la mémoire locale n’a pas retenu l’arrestation puis la mort en déportation de son fils (les confondant…).
Notes :
[1] Seine-Maritime : département dénommé “Seine-Inférieure” jusqu’en janvier 1955.
[3] Le “brûlot de Rouen” et la rafle d’octobre 1941 : L’arrestation massive de plusieurs dizaines (*) de militants politiques et syndicaux – ou soupçonnés tels – a suivi de peu le déraillement d’un train de matériel militaire allemand sur la ligne Rouen-Le Havre, dans le tunnel de Pavilly, à 1500 m de la gare de Malaunay, le 19 octobre 1941 ; ce sabotage étant l’un des objectifs visés par le “brûlot” de Rouen (groupe mobile de la résistance communiste). Néanmoins, les fiches d’otages des “45000” appréhendés dans cette période mentionnent que ces arrestations mettaient en application un ordre du Commandant de la région militaire A, daté du 14 octobre 1941. Ainsi, entre le 17 et le 25 octobre, il y eut le même type de rafles de “communistes” dans sept autres départements de la zone occupée. Il est probable que ces arrestations aient été ordonnées pour assurer la saisie de communistes destinés à être placés sur les listes d’otages de cette région militaire. En effet, tous les hommes appréhendés furent remis aux allemands qui les transférèrent à Compiègne entre le 19 et le 30 octobre 1941. 44 des otages arrêtés ces jours-là dans le secteur de Rouen furent déportés dans le convoi du 6 juillet 1942. Beaucoup furent fusillés au titre de représailles dans les semaines qui suivirent.
(*) 150 selon “30 ans de luttes“, brochure éditée en 1964 par la fédération du Parti Communiste de Seine-Maritime.
[4] Sous contrôle militaire allemand, le camp de Royallieu a d’abord été un camp de prisonniers de guerre (Frontstalag 122), puis, après l’invasion de l’URSS, un « camp de concentration permanent pour éléments ennemis actifs ». À partir de septembre 1941, on y prélève – comme dans les autres camps et prisons de zone occupée – des otages à fusiller. A partir du 12 décembre 1941, un secteur du sous-camp C est réservé aux Juifs destinés à être déportés à titre de représailles. Le camp des Juifs est supprimé le 6 juillet 1942, après le départ de la plupart de ses internés dans le convoi transportant les otages communistes vers Auschwitz. Les derniers détenus juifs sont transférés au camp de Drancy (Seine / Seine-Saint-Denis).
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 377 et 421.
Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Basse-Normandie (2000), citant : témoignage de Robert Gaillard (45565), arrêté le même jour – Listes établie par Louis Jouvin (45697), du Havre, en 1972, et par Louis Eudier (45523), du Grand-Quevilly, en 1973 – Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen.
Cheminots victimes de la répression 1940-1945, mémorial, ouvrage collectif sous la direction de Thomas Fontaine, éd. Perrin/SNCF, Paris, mars 2017, pages 1493-1494.
Archives départementales de Seine-Maritime, Rouen, CG 76 : cabinet du préfet sous l’occupation, dossiers d’invidus arrêtés de Rob à Z (51 W 421).
Archives départementales de Seine-Maritime, site internet, archives en ligne : registres matricules du recrutement militaire, classe 1921 (1R3527), matricule n° 893.
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 1280 (38788/1942).
Site du Groupe Archives Quatre-Mares (GAQM).
Catherine Voranger (petite-fille de Louis Jouvin), message du 17-08-2021.
MÉMOIRE VIVE
dernière mise à jour, le 17-08-2021)
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En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.