Moïse, Lucien, Alexis, Lanoue naît le 28 novembre 1911 à Vierzon-Forges (Cher) [1], fils de Jules Augustin Lanoue, dit Battoir, 29 ans, journalier, et de Marie Alice Laubier, 29 ans, son épouse. Moïse a un frère plus âgé, Raymond Henri Jean, né le 7 septembre 1907 à Vierzon-Villages.
Mobilisé à la 5e compagnie du 10e bataillon de chasseurs à pied le 3 août 1914, leur père est tué à l’ennemi le 6 juin 1915, lors de la première offensive d’Artois, devant (Aix-)Noulette (Pas-de-Calais), lors d’une tentative de progression dans le Bois Carré, au cours de laquelle 70 hommes sont tués ou disparaissent.
En 1921, la famille est domiciliée quai du Bassin, toujours à Vierzon-Forges. La mère, devenue chef de famille, travaille comme journalière à la Pointerie, usine voisine. Elle héberge sa propre mère, Solange Laubier, 62 ans. Raymond, 13 ans et demi, travaille déjà comme employé de bureau. En 1926, ils habitent rue Étienne-Dolet, quai de l’Étang. Marie-Alice est journalière à la Pointerie, Raymond est devenu ciseleur et Moïse travaille comme commis épicier.
En 1936, Moïse Lanoue vit désormais seul avec sa mère. Elle est devenue empaqueteuse à la Pointerie. Lui est simple journalier.
C’est un militant communiste.
Le 1er mai 1942, Moïse Lanoue est arrêté ; probablement à la suite d’une manifestation au cours de laquelle Marcel Charrier a pris la parole (trente autres personnes sont interpellées dont Maurice Trouvé). Moïse Lanoue est finalement interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).
Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Moïse Lanoue est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45728 selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule n’a pas été retrouvée).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Moïse Lanoue.
Il meurt à Auschwitz le 23 octobre 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) [2].
La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du X-1993).
À Vierzon, son nom est inscrit sur la haute stèle dédiée aux Victimes vierzonnaises de la barbarie nazie 1939-1945 du Mémorial de la Résistance et Déportation, inauguré en 2011 au 10 avenue du Général-de-Gaulle, près de la médiathèque Paul Éluard.
Notes :
[1] Le 1er septembre 1791, la paroisse Notre-Dame de Vierzon est divisée en deux : Vierzon-Ville, occupant le centre de la ville actuelle sur la rive droite du Cher, et Vierzon-Villages (au pluriel) entourant la précédente de tous cotés. Dans les années suivantes, ces paroisses deviennent deux communes, puis fusionnent provisoirement sous le nom de Vierzon, avant d’être à nouveau scindées le 22 mars 1796. Par la loi du 4 avril 1908, la section des Forges est distraite de la partie Est de Vierzon-Villages et érigée en commune distincte sous le nom de Vierzon-Forges. Par arrêté préfectoral du 8 avril 1937, les communes de Vierzon-Villages, Vierzon-Bourgneuf (sur la rive gauche du Cher) et Vierzon-Forges sont réunies à celle de Vierzon-Ville, sous le nom unifié de Vierzon.
[2] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ.
Concernant Moïse Lanoue, c’est le mois de septembre 1942 qui a été retenu pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 127 et 128, 363 et 409.
Archives départementales du Cher, site internet du département : archives numérisées en ligne.
Association des amis du musée de la Résistance et de la Déportation de Bourges, article dans La Nouvelle République du 31 janvier 2005.
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 692 (37164/1942).
Site Mémorial GenWeb, relevé d’Alain Girod (n° 80755), 10-2016.
http://www.mortsdanslescamps.com/fr…
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 12-10-2020)
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En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.