- Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.
Pierre, Roger, Bourneix naît le 16 juillet 1922 à Paris 8e, fils de Pierre, Roger, Bourneix, 23 ans, natif de Puteaux [1] (Seine / Hauts-de-Seine), et de Maria Guillemenot, 23 ans, mariés à Puteaux le 15 octobre 1921. Pierre a un frère plus jeune, Robert, né en 1924 à Paris.
Le 16 avril 1917, son père a été mobilisé comme soldat de 2e classe au 109e régiment d’infanterie. Le 6 octobre suivant, à l’issue de sa formation militaire, il est passé au 113e RI. Le 16 janvier 1918, il est passé au 88e RI, , 3e compagnie de mitrailleuses. Dans la soirée du 16 septembre, alors que son régiment occupait des tranchées au sud de Savy (Aisne), il a été intoxiqué par les gaz de combat. Soigné, il n’a rejoint son unité que le 11 novembre 1918. Dans les mois suivants, il est passé ensuite par plusieurs régiments d’infanterie coloniale. Le 22 mai 1920, il a été renvoyé dans ses foyers, titulaire d’un certificat de bonne conduite. Des commissions de réforme de la Seine successives lui octroieront une pension définitive de 15 % pour « scléro-emphysème des gazés, sclérose des sommets avec submatite et laryngite catarrhale discrète ».
En 1924, la famille habite dans un immeuble HBM au 4, rue Cartault à Puteaux.
Pierre Bourneix fils étudie jusqu’au Certificat d’études primaires.
En 1936 et jusqu’au moment de son arrestation, il est domicilié au 29, rue Cartault, toujours chez ses parents, dans un autre immeuble HBM. Il a la même adresse que Pierre Orsatti. Son père est alors chauffeur chez Menier à Clichy, et sa mère ouvrière chez Zodiac à Puteaux.
Pierre Bourneix fils est cordier. Pendant un temps, il est syndiqué à la CGT. En dernier lieu, il travaille à la Société Zodiac, comme sa mère.
Après la mobilisation de 1939, son père est pendant un temps “affecté spécial” à la Manufacture nationale d’armes de Levallois-Perret.
Le 11 septembre 1940, Georges Capliez, Pierre Bourneix fils, René Maroteaux et trois autres jeunes militants de Suresnes et Puteaux sont arrêtés par la police française et écroués à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e) pour « propagande communiste clandestine ». Ils sont probablement libérés peu de temps après sur décision des autorités allemandes.
Le 9 novembre suivant, sur instruction des Renseignements généraux, le préfet de police de Paris signe un arrêté ordonnant l’internement administratif de Pierre Bourneix fils, au motif : « a été arrêté pour apposition de papillons, continue son activité ». Le jour même, celui-ci est arrêté par des agents du commissariat de Puteaux, en même temps qu’Auguste Archen et Georges Capliez, parmi 66 suspects d’activité communiste de la Seine, et conduit au “centre de séjour surveillé” (CSS) d’Aincourt (Seine-et-Oise / Val-d’Oise), créé en octobre 1940 dans les bâtiments réquisitionnés d’un sanatorium isolé en forêt.
Conçus à l’origine pour 150 malades, les locaux sont rapidement surpeuplés : en décembre 1940, on compte 524 présents, 600 en janvier 1941, et jusqu’à 667 au début de juin. Pour cette raison, Pierre Bourneix est assigné, avec Georges Capliez, au “dortoir des jeunes” (“DJ”), ancien réfectoire réaffecté à cet usage.
Le 26 février 1941, Madame Bourneix écrit au préfet de Seine-et-Oise pour lui transmettre un document certifiant que l’ancien employeur de son fils désire le reprendre à son service (ce qui induit une libération).
Le 27 mars, elle sollicite l’autorisation de lui rendre visite, ne l’ayant pas vu depuis quatre mois et alors qu’il lui a écrit avoir constaté – lors d’une visite médicale – qu’il avait maigri de deux kilos.
Le 9 avril, le directeur du Centre d’Aincourt, également commissaire de police, auditionne Pierre Bourneix afin de savoir si sa position politique a évoluée (le procès verbal est organisé comme un formulaire à remplir). « (Si l’intéressé a appartenu au Parti communiste, préciser sa position à l’égard du pacte germano-soviétique et son attitude actuelle à l’égard du PC) : “Je déclare n’avoir jamais appartenu au Parti communiste, mais j’ai fait partie du cours de danse des Jeunesses communistes, car c’était le seul cours qui était gratuit. Quant au pacte germano-soviétique, je n’y ai vu que des échanges de marchandises, car je n’y ai pas porté attention ; j’avais lu qu’ils échangeaient du blé contre des machines et je n’ai pas songé à en savoir plus, car cela m’était bien égal, vu mon âge.” – Résolutions de l’interné à l’égard du gouvernement et de la Révolution nationale en cas de libération : “Maintenant, je considère le gouvernement du maréchal comme étant le gouvernement qui dirige actuellement la France.” » Déclarations très naïves ou très rusées ? Quand il expédie au préfet de Seine-et-Oise le procès verbal de cette audition, le chef de camp formule l’avis suivant : « Ce jeune interné a toujours eu au Centre une attitude très correcte et n’a jamais été puni. Volontaire pour toutes les corvées, Bourneix a toujours fait preuve du meilleur esprit, mais j’ai pu remarquer qu’il suivait aveuglément les directives des meneurs communistes ; il a participé à diverses manifestations collectives au camp. Je pense, d’autre part, que ses déclarations sont insuffisantes et que, libéré, il pourrait constituer un élément actif de la propagande clandestine. Je donne donc, à l’égard de sa libération, un avis défavorable. »
Le 26 juin, son père, Pierre, Roger, Bourneix, considéré comme « meneur particulièrement actif », figure sur une liste de 92 militants communistes (dont Pierre Orsatti) arrêtés par la police française en concertation avec l’armée d’occupation. Il est probablement conduit au camp allemand de Royallieu à Compiègne (à vérifier…).
Le 14 avril 1942, le préfet de police de Paris « fait savoir » au préfet de Seine-et-Oise « que les autorités allemandes viennent d’interdire le transfert dans un autre camp ou prison, sans leur autorisation expresse » de trois jeunes communistes internés à Aincourt : Pierre Bourneix, Italo Berselli [2] (19 ans) et Georges Philippides (20 ans).
Le 21 avril, le service Vpol 2 du Kommandant von Gross-Paris s’adresse au service V ju duMilitärbefehlshaber in Frankreich (MbF) pour lui proposer une liste de trente otages en représailles de l’attentat du 16 avril contre un train de permissionnaires allemands à 18 km de Caen (SF-Zug 906) [3] ; parmi ceux-ci, de jeunes communistes : Pierre Bourneix, Italo Berselli, Jean Berthout (lequel ?), Georges Guinchan, René Perrotet, André Tollet… (il semble qu’aucun des hommes alors désignés n’ait ensuite été fusillé au Mont-Valérien)
Le 23 avril, – bien que le chef de camp d’Aincourt connaisse l’interdiction allemande – Pierre Bourneix est parmi dans les 60 détenus transférés au “centre de séjour surveillé” de Voves (Eure-et-Loir), où il est enregistré sous le matricule n° 133.
Mais, le 5 mai, l’administration française le ramène à Aincourt avec Italo Berselli parce qu’étant « désignés comme otages ».
Le 9 mai 1942, Pierre Bourneix est parmi les quinze internés remis aux “autorités d’occupation” à la demande de celles-ci et transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).
Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Pierre Bourneix est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45290 (sa photo d’immatriculation a été retrouvée et identifiée [4]).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Pierre Bourneix.
Il meurt à Auschwitz le 19 septembre 1942, selon l’acte de décès établi par l’administration SS (Sterbebücher), alors qu’a lieu une grande sélection des “inaptes au travail” à l’intérieur du camp au cours de laquelle 146 des “45000” sont inscrits sur le registre des décès en deux jours (probablement tués d’une piqûre intracardiaque de phénol ou gazés [5]) ; la cause mensongère indiquée pour sa mort est « faiblesse cardiaque et grippe ». Il a 20 ans.
(aucun des douze “45000” de Puteaux n’a survécu)
Ses parents divorcent le 20 janvier 1947.
Son père décède à Paris 10e le 4 juin 1955, âgé de 57 ans.
Notes :
[1] Puteaux : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert effectif en janvier 1968).
[2] Italo Berselli, né le 13 novembre 1922 à Remiremont (Vosges), tourneur, domicilié au 1bis, rue latérale à Paris 17e, interné à Aincourt le 17 janvier 1941. Il est ramené à Voves le 9 septembre 1942, dans un groupe de 83 internés, quand le CSS d’Aincourt devient un camp de femmes. Il est transféré au camp de Pithiviers en novembre 1943.
[3] Le double déraillement d’Airan et les otages de représailles : Dans la nuit du 15 au 16 avril 1942, le train quotidien Maastricht-Cherbourg transportant des permissionnaires de la Wehrmacht déraille à 17 kilomètres de Caen, à l’est de la gare de Moult-Argence, à la hauteur du village d’Airan, suite au déboulonnement d’un rail par un groupe de résistance. On compte 28 morts et 19 blessés allemands. L’armée d’occupation met en œuvre des mesures de représailles importantes, prévoyant des exécutions massives d’otages et des déportations. Le préfet du Calvados obtient un sursis en attendant les conclusions de l’enquête de police. Mais, faute de résultats, 24 otages choisis comme Juifs et/ou communistes sont fusillés le 30 avril, dont deux à Caen.
Dans la nuit du 30 avril au 1er mai, un deuxième déraillement a lieu, au même endroit et par le même procédé. Un rapport allemand signale 10 morts et 22 blessés parmi les soldats. Ces deux déraillements sont au nombre des actions les plus meurtrières commises en France contre l’armée d’occupation.
Au soir de l’attentat – à partir de listes de communistes et de juifs (130 noms sur le département) transmises au préfet par le Feldkommandant – commence une vague d’arrestations, opérées par la police et la gendarmerie françaises avec quelques Feldgendarmes. Dans la nuit du 1er au 2 mai et le jour suivant, 84 hommes au moins sont arrêtés dans le Calvados et conduits en différents lieux de détention. Pour le commandement militaire allemand, ceux qui sont maintenu en détention ont le statut d’otage. Tous les hommes désignés n’ayant pu être arrêtés, une autre vague d’arrestations, moins importante, a lieu les 7 et 8 mai. Le préfet ayant cette fois-ci refusé son concours, ces arrestations d’otages sont essentiellement opérées par la Wehrmacht. Le 4 mai, 48 détenus arrêtés dans la première rafle sont transférés en train au camp de police allemande de Compiègne-Royallieu ; puis d’autres, moins nombreux, jusqu’au 9 mai (19 ce jour-là).
Les 8 et 9 mai, 28 otages communistes sont fusillés, au Mont-Valérien (Hauts-de-Seine – 93) pour la plupart (trois à Caen). Le 14 mai, onze otages communistes sont encore fusillés à Caen.
La plus grande partie des otages du Calvados transférés à Compiègne sera déportée à Auschwitz le 6 juillet 1942 : 57 politiques et 23 Juifs (près de la moitié des otages juifs du convoi).
[4] Sa photographie d’immatriculation à Auschwitz a été reconnue par des rescapés lors de la séance d’identification organisée à l’Amicale d’Auschwitz le 10 avril 1948 (bulletin Après Auschwitz, n°21 de mai-juin 1948).
[5] Les chambres à gaz du centre de mise à mort situé à Birkenau fonctionnent principalement pour l’extermination des Juifs dans le cadre de la “Solution finale”, mais, jusqu’en mai 1943, elles servent également à éliminer des détenus, juifs ou non, considérés comme “inaptes au travail” (opération commencée en avril 1941, dans d’autres camps, sous le nom de code 14 f 13). Les détenus d’Auschwitz-I sélectionnés pour la chambre à gaz sont amenés en camions à Birkenau. Quelquefois, ils attendent la mort au Block 7 de ce camp.
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 150 et 153, 383 et 396.
Nadia Ténine-Michel, Le camp d’Aincourt (Seine-et-Oise), 5 octobre 1940 – 15 septembre 1942, article in Les communistes français de Munich à Châteaubriant (1938-1941), sous la direction de Jean-Pierre Rioux, Antoine Prost et Jean-Pierre Azéma, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, novembre 1987.
Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles, le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “occupation allemande” : cartons “occupation allemande”, liste des internés communistes, 1939-1941 (BA 1836, BA 2397) ; chemise “transfert des internés, correspondance 1942-1944” (BA 2377).
Archives départementales des Yvelines (AD 78), Montigny-le-Bretonneux : centre de séjour surveillé d’Aincourt ; cote 1W76, 1W80, 1W94 (dossier individuel) ; recherches parallèles de Claude Delesque.
Comité du souvenir du camp de Voves, liste établie à partir des registres du camp conservés aux Archives départementales d’Eure-et-Loir ; transcriptions de documents d’époque (listes, état des effectifs, fiche individuelle).
Mémorial de la Shoah, Paris, Archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) ; liste XLV-31.
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 124 (31923/1942).
Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : liste de détenus français morts au camp de concentration d’Auschwitz relevée par le S.I.R. d’Arlosen (26 P 821 – Auch. 1/7).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 17-06-2020)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.