Pierre, Jean, Ange, Jeusset naît le 19 juillet 1919 à Brest (Finistère – 29), fils d’Ange Jeusset, 28 ans, coiffeur, et de Marie Abjean, son épouse, 30 ans. Pierre a un frère, Albert, né le 19 septembre 1917.
Leur père a été rappelé à l’activité militaire au 19e régiment d’infanterie par le décret de mobilisation du 1er août 1919. Le 29 septembre 1915, il a été blessé au ventre et évacué. Le 18 avril 1916, la commission de réforme de Brest l’a classé service auxiliaire pour « cicatrice de l’abdomen, abcès foie (blessure de guerre) ». Le 25 septembre, la même commission l’a déclaré inapte définitif à servir aux armées. Le 5 avril 1919, il a été mis en congé illimité de démobilisation et s’est retiré au 57, rue Louis-Pasteur à Brest. Il souffre également d’un emphysème pulmonaire.
Le 7 octobre 1923, Alfred et Pierre Jeusset sont adoptés par la Nation suivant un jugement du tribunal civil de 1ère instance de la Seine.
Le 16 mai 1926, leur père, alors domicilié au 48, boulevard Jourdan, décède Porte d’Aubervilliers (?) à Paris 19e, sa veuve touchera une pension à effet rétroactif par arrêté en date du 13 décembre 1926.
Sympathisant communiste, Pierre Jeusset s’engage à 17 ans dans les Brigades internationales pendant la guerre civile Espagnole pour défendre la République contre la rébellion du général Franco soutenue militairement par Hitler et Mussolini. Il est en Espagne de septembre 1936 à mai 1937.Au moment de son arrestation, Pierre Jeusset habite chez sa mère dans un appartement au 108, rue de Bagneux, à Montrouge [1] (Seine / Hauts-de-Seine – 92) ; voie qui – sous l’occupation – est renommée avenue du Maréchal Pétain.
Manœuvre, manutentionnaire, il travaille à la gare Montparnasse, à Paris (sans appartenir au personnel de la SNCF).
Le 24 décembre 1941, peu après 6 heures du matin, Pierre Jeusset est arrêté à son domicile par le commissaire de la circonscription de Montrouge accompagné deux inspecteurs, sur arrêté du préfet de police pris « en application du décret du 18 novembre 1939 ». Le jour même, dans le cadre d’une vague d’arrestations organisée par la police française contre 33 anciens membres des brigades internationales, il est interné administrativement au camp de la caserne des Tourelles, boulevard Mortier à Paris 20e.
Le 5 mai 1942, Pierre Jeusset fait partie des 24 internés des Tourelles, dont beaucoup d’anciens Brigadistes, que viennent « prendre des gendarmes allemands » afin de les escorter à la gare de l’Est où ils rejoignent d’autres détenus avant d’être conduits en train au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). Il y est enregistré sous le matricule n° 5287.
Entre fin avril et fin juin 1942, Pierre Jeusset est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises.
Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet, Pierre Jeusset est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45686, selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule a été retrouvée, mais n’a pu être identifiée à ce jour).. Ce même matricule – et le portrait lié – pourrait également être attribué à Jean Christian…
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Pierre Jeusset.Il meurt à Auschwitz le 23 août 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher). Il a 23 ans.
Le 28 mars 1943, sa mère écrit à l’Association nationale des amis des travailleurs français en Allemagne, car elle est sans nouvelle de son fils qui, après avoir été interné à Compiègne « aurait été transféré dans un autre camp en Allemagne le 16 juillet 1942 » (elle a probablement reçu la carte pré-imprimée envoyée à cette date à beaucoup de familles par la direction du camp). L’association lance une recherche et c’est le Service de la main-d’œuvre française en Allemagne qui écrit au camp de Compiègne. Le 13 avril suivant, la Kommandantur de celui-ci répond : « Nous vous retournons votre lettre (…) en vous informant que le prisonnier Pierre Jeusset n°5287 a été au camp de la prison de police de Compiègne jusqu’au 6 juillet 1942. À cette date, il a été emmené pour travailler dans un camp allemand sur ordre du Befehlshaber de la Police de Sureté et des SD de Paris. Nous ignorons où il se trouve actuellement. »
Le 23 avril suivant, le service de la main-d’œuvre transmet le dossier à la Croix-Rouge allemande, avenue Kléber à Paris qui répond le 15 mai : « Le chargé d’affaire de la Croix-Rouge en France regrette de vous dire qu’on n’a pu avoir aucun autre renseignement sur cet ouvrier ».
Le 8 juillet 1945, son frère Albert écrit au préfet de police, il s’affirme certain que son frère a été dénoncé par une lettre anonyme…
Un acte de disparition est établi le 16 novembre 1946.
En 1951, le décès de Pierre Jeusset est noté sur le registre d’état civil de la mairie de Montrouge à la date du 6 juillet 1942 à Compiègne. La mention Mort pour la France est inscrite en marge de son acte de décès le 5 mars 1958.
Le 16 octobre 1956, il obtient le titre de “Déporté politique” à titre posthume (IP en 55), avec mention : « déporté en Allemagne le 6 juillet 1942, disparu depuis cette date ». La date du décès est corrigée plus tard, “selon la règle”, avec un ajout de cinq jours : soit « le 11 juillet 1942, en Allemagne » (carte n° 1102 21 942, délivrée à sa mère).
Le nom de Pierre Jeusset est inscrit (ses prénoms étant réduits aux initiales) sur une des plaques dédiées « aux Montrougiens morts pour la France… », situées dans le hall de la mairie.
Sa mère, Marie, Madame Veuve Jeusset, décède le 29 novembre 1961 à son domicile (là où a été arrêté son fils).
Notes :
[1] Montrouge : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005.
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 515.
Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles (SMAC), Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : dossier individuel du cabinet du préfet (1 W 683-2270.
Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen : dossier de Pierre Jeusset (21.p.465.790), recherches de Ginette Petiot (message 12-2013).
Site Mémorial GenWeb, 92-Montrouge, relevé de Claude Richard (08-2006).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 16-01-2024)
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En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.