Pierre Lana naît le 4 octobre 1897 à Fomarco (province de Novare, Italie), fils d’Aurelio (Aurélien) Lana, 25 ans, maçon, et de Rosa Dell’Orsi, son épouse, cultivatrice.
Le 17 juillet 1926, à Audincourt, Pierre Lana épouse Aline Viotti, fille de Charles, née le 22 mars 1902 dans cette ville, sans profession. Ils auront au moins deux garçons : Serge, né le 2 juin 1927 à Audincourt, et Hubert, né le 2 juillet 1937. En mars 1933, Aline Lana accouche d’un enfant mort-né.
Au printemps 1936, Pierre Lana (ayant toujours la nationalité italienne) habite rue de Belfort (“Pont-Rouge”), hébergeant son père, Aurélio Lana, cimentier. Il est toujours menuisier chez son beau-père, Charles Viotti.
Le 30 décembre 1936, Pierre Lana est naturalisé français par décret présidentiel.
Au moment de son arrestation, il est domicilié au Pont-Rouge (rue de Belfort prolongée ?) à Audincourt, comme gérant du Café des Arts.
Sous l’occupation, Pierre Lana est membre du triangle directeur du premier groupe de résistance organisé par le parti communiste dans la région de Montbéliard-Audincourt, avec Gaston Génin et Minazi. Dans son café, il organise des réunions clandestines. Leur liaison avec le centre national est assurée par Marcel Loffel, ex-secrétaire de l’Union locale CGT d’Argenteuil. Pierre Lana participe également à la rédaction et à l’impression de tracts et du journal clandestin Le Peuple comtois (ou Le Franc-Comtois ?), ainsi qu’au recrutement permettant d’élargir leur groupe, précurseur des Francs-tireurs et partisans.
Le 22 juin 1942 à 21 h 30, alors qu’il dort déjà, Pierre Lana est arrêté à son domicile par des Feldgendarmes [1], en présence de son épouse et de son père.
Le même jour, Paul Feuvrier est arrêté à Pont-de-Roide ; leurs noms sont inscrits à la fin d’une liste de vingt-cinq militants communistes et syndicalistes de la Haute-Saône (dont les sept futurs “45000” du département et Georges Cogniot) ; Pierre Lana figure au n° 25. Après un passage par Montbéliard, ils sont finalement internés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). Enregistré sous le matricule n° 1122, Pierre Lana est assigné au bâtiment A6.
Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Pierre Lana est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45723 selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule n’a pas été retrouvée).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Pierre Lana.
Il meurt à Auschwitz le 3 septembre 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher).
Le 17 novembre 1945, sur “papier libre”, Albert Morel, de Lure (Haute-Saône), rescapé du convoi, certifie le décès de Pierre Lana à Auschwitz « fin novembre ou début décembre 1942, de maladie et privations ». Trois semaines plus tard, le 4 décembre, Eugène Garnier, de Flers (Orne), rédige un certificat semblable (même période estimée pour le décès), ajoutant, pour cause de décès, l’épuisement à la maladie et aux privations.
Le 7 mars 1946, Aline Lana complète et signe un formulaire de recherches pour déporté. Trois semaines plus tard, le 28 mars, elle complète et signe un formulaire du ministère des anciens combattants et victimes de la guerre (ACVG) pour demander que soit établi l’acte de décès de son mari, ainsi que l’attribution de la mention “mort pour la France” ; afin d’appuyer cette démarche, elle dispose des certificats fournis par les deux rescapés.
Le 12 décembre suivant, l’officier de l’état civil alors en fonction au ministère des ACVG dresse l’acte de décès officiel de Pierre Lana « sur la base des éléments d’information figurant au dossier du de cujus, qui nous a été présenté ce même jour » (les témoignages de Morel et Garnier) et en fixant la date au 1er décembre. Le jour même, un courrier est envoyé au maire d’Audincourt pour lui demander de transcrire ce décès sur ses registres d’état civil.
Le 16 novembre 1953, Aline Lana – en qualité de conjointe – complète et signe un formulaire du ministère des ACVG pour demander l’attribution du titre de Déporté Résistant à son mari à titre posthume. Le lendemain, à l’appui de cette démarche, Jean Sircoulomb, plombier à Audincourt, qui a été sous les ordres de Pierre Lana, « certifie que [son] chef a hébergé des camarades clandestins qui étaient chargés de la liaison ou du transport de matériel pouvant nuire à l’occupant. » Le 24 juillet 1954, le président de la commission départementale du Doubs des internés et déportés résistants donne son avis sur l’activité de Pierre Lana sous l’occupation : « Arrêté comme membre du Parti communiste. À noter qu’à la date de son arrestation, le PC n’était pas encore dans la résistance. Il est donc peu vraisemblable qu’il a hébergé des résistants à cette date : à classer “politique” ». Le 4 novembre, sans surprise, le ministère décide le rejet de la demande du titre de résistant et attribue automatiquement à Pierre Lana le titre de déporté politique. Le 17 novembre, la carte de DP n° 1116.13354 est envoyée à sa veuve.
Le 10 novembre 1962, Aline Lana remplit un formulaire du ministère des ACVG pour demander l’inscription de la mention “Mort pour la France” sur l’acte de décès d’un déporté politique. Le 16 mai 1963, le ministère décide de son acceptation. L’inscription est portée sur le registre d’état civil d’Audincourt le 25 juin suivant.
Le nom de Pierre Lana est inscrit sur le Monument aux morts d’Audincourt ; son prénom abrégé « Pre ».
Il a une “tombe” dans le carré militaire du cimetière, route de Dasles (« FTPF déporté et disparu en Allemagne »).
Notes :
[1] L’ “Aktion Theoderich ” : L’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est définit le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre. Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – perquisitions à leur domicile et arrestations – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante. En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich, plus de mille communistes sont arrêtés par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne, créé à cette occasion pour la détention des « ennemis actifs du Reich » sous l’administration de la Wehrmacht. Au total (bilan au 31 juillet), 1300 hommes environ y seront internés à la suite de cette action. Effectuant un tri a posteriori, les Allemands en libéreront plusieurs dizaines. 131 d’entre eux, arrêtés entre le 21 et le 30 juin, seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 363 et 409.
Ville d’Audincourt, service de l’état civil.
Archives départementales du Doubs, site internet, archives en ligne : dénombrements de population (recensements) à Audincourt 1906-1936.
Archives départementales de Côte-d’Or : Arrestations par les autorités allemandes-correspondances, (630 W), article 252, liste de la Haute-Saône (sic).
Copies de cartes de correspondance du camp de Royallieu transmises par son fils, Serge Lana.
Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : dossier individuel (21 P 261 328 et 21 P 472 360).
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 688 (27194/1942).
Site Mémorial GenWeb, relevés de Gilbert (03-2008) de Jean-François Languillat et Jean-Pierre Bohin (06-2004).
MÉMOIRE VIVE
(dernière modification le 26-03-2021)
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En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.