- Auschwitz, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oswiecim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.
Raymond Bouteiller naît le 4 juillet 1901 à Yerville (Seine-Inférieure / Seine-Maritime [1] – 76), au domicile de ses parents, Octave Bouteiller, 28 ans, journalier, et Marie Rosalie Etancelin, son épouse, 22 ans.
Raymond a pour frères Georges, René, né le 28 décembre 1903, et Bernard, né le 20 août 1911, tous deux à Yerville. Leur père est décédé à leur domicile le 6 avril 1911, âgé de 38 ans (les témoins pour la déclaration à l’état-civil étaient le garde-champêtre et un bourrelier).
Raymond Bouteiller commence à travailler comme journalier.
Le 5 avril 1921, il est incorporé au 97e régiment d’infanterie, arrivant au corps le 12 avril. Son unité participe à l’occupation des Pays Rhénans. Il est « renvoyé dans ses foyers” le 5 mai 1923, et se retire à Pavilly, au 4°8 de la cité Félicité, dans la Vallée Sainte-Austreberthe, titulaire d’un certificat de bonne conduite.
Le 15 avril 1930, le commissaire spécial de Rouen établit une notice individuelle aux noms de Georges et Raymond Bouteiller, tous deux “temporaires” aux Chemins de fer de l’État à Barentin, domiciliés route de Sainte-Austreberthe à Pavilly, militants et propagandistes communistes, et syndicalistes unitaires, assistant régulièrement aux réunions communistes et le la CGTU organisées à Pavilly et Barentin.
Au moment de son arrestation, Raymond Bouteiller est domicilié avec ses frères au 20, cité Lang-Risser à Pavilly (76). Tous trois sont alors terrassiers.
Rappelé à l’activité militaire le 9 septembre 1939, Raymond Bouteiller est affecté au dépôt d’infanterie n° 32, puis (peut-être) au 33e régiment de Travailleurs. Il est démobilisé le 31 août 1940 par le CD de Pavilly (?).
Le 7 octobre 1939, le commissaire spécial de Rouen a transmis à tous les commissaires de Seine-Inférieure, et à certains maires, une circulaire leur demandant de lui « fournir, dès que possible, la liste des principaux militants du Parti communiste qui faisaient partie des cellules de (leur) ville ou circonscription » en indiquant, nom, prénoms, âge si possible, profession, domicile et « situation actuelle (présent ou mobilisé) ». La mairie de Pavilly a renvoyé rapidement une liste de huit militants ou sympathisants de la commune, parmi lesquels les trois frères Bouteiller.
Le 20 octobre 1941, Raymond Bouteiller est arrêté puis finalement interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne [2] (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).
Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande, en application d’un ordre de Hitler.
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Raymond Bouteiller est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45293. Sa photo d’immatriculation a été retrouvée.
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, Raymond Bouteiller est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.
Pendant un temps, Raymond Bouteiller est affecté au Block 16.
Il meurt au Revier [3] d’Auschwitz le 19 septembre 1942, alors qu’a lieu une grande sélection des « inaptes au travail » à la suite de laquelle 146 des “45000” sont inscrits sur le registre des décès (Sterbebucher) en deux jours, probablement tués d’une piqûre intracardiaque de phénol ou gazés ; sur l’acte de décès de Raymond Bouteiller établi par l’administration SS du camp, la cause mensongère indiquée pour sa mort est « entérite et phlegmon ». En France, cette même date est inscrite sur son acte de décès le 2 octobre 1946.
Déclaré “Mort pour la France” (16/6/1955), il est homologué comme “Déporté politique” (carte n° 1103 14606).
Sur le monument aux mort de Pavilly, placé devant l’église, place du Général de Gaulle, – sur la stèle « La ville de Pavilly aux victimes civiles et militaires de la guerre 1939-1945 » – le nom de Raymond Bouteiller est inscrit parmi les quatre déportés de la commune.
Notes :
[1] Seine-Maritime : département dénommé “Seine-Inférieure” jusqu’en janvier 1955.
[2] Sous contrôle militaire allemand, le camp de Royallieu a d’abord été un camp de prisonniers de guerre ( Frontstalag 122), puis, après l’invasion de l’URSS, un « camp de concentration permanent pour éléments ennemis actifs ». À partir de septembre 1941, on y prélève – comme dans les autres camps et prisons de zone occupée – des otages à fusiller. À partir du 12 décembre 1941, un secteur du sous-camp “C” est réservé aux Juifs destinés à être déportés à titre de représailles. Le camp des Juifs est supprimé le 6 juillet 1942, après le départ de la plupart de ses internés dans le convoi transportant les otages communistes vers Auschwitz. Les derniers détenus juifs sont transférés au camp de Drancy (Seine / Seine-Saint-Denis).
[3] Revier , selon Charlotte Delbo : « abréviation de Krakenrevier, quartier des malades dans une enceinte militaire. Nous ne traduisons pas ce mot que les Français prononçaient révir, car ce n’est ni hôpital, ni ambulance, ni infirmerie. C’est un lieu infect où les malades pourrissaient sur trois étages. ». In Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 24. Le terme officiel est pourtant “hôpital” ; en allemand Häftlingskrakenbau (HKB), hôpital des détenus ou Krakenbau (KB). Dans Si c’est un Homme, Primo Lévi utilise l’abréviation “KB”.
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 377 et 397.
Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Basse-Normandie (2000), citant : Liste établie par Louis Eudier (45523), du Havre – Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen.
Archives départementales de la Seine-Maritime (AD 76), site internet, archives en ligne : registre d’état civil de Yerville, année 1901 (cote 4E 07795), acte n° 38 (vue 17/37).
Archives nationales, site de Pierrefitte-sur-Seine ; Archives restituées par la Russie, commissariat spécial de Rouen 1920-1940 (20010223/2, doc. 96-98, 96-99).
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 124 (31851/1942).
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; relevé dans les archives (01-2009).
Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : dossier de Gaston Harand (21 P 461 564), rapport de gendarmerie (17-10-1952), recherches de Ginette Petiot (message 12-2012) ; liste de détenus français morts au camp de concentration d’Auschwitz relevée par le S.I.R. d’Arlosen (26 P 821 – Auch. 1/7), page 3, n° 49.
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 22-08-2023)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.