Raymond Hervé naît le 22 juillet 1908 à Trélazé (Maine-et-Loire – 49), fils de Charles Hervé, facteur des Postes et Télégraphes, et de Claudine Neuder, son épouse. Il a un frère aîné, Lucien, né le 7 septembre 1906 à Trélazé.
À l’été 1930, Raymond Hervé habite au 103, rue des Haies à Paris 20e, avec sa future épouse, Adelphine Jeanne Marie Le Mené, née le 22 septembre 1919 à Saint-Pierre de Quiberon (Morbihan – 56). Leur première enfant, Raymonde, naît le 7 juin 1930 à Paris 20e. Ils reviennent à Trélazé, rue Jean-Jaurès.
Le 20 septembre 1930, à la mairie de Trélazé, Raymond Hervé, 22 ans, se marie avec Jeanne (« Jeannette ») Le Mené, 19 ans.
Ils auront trois autres enfants : Marcelle, née le 3 novembre 1932, Charles (« Charlot »), né le 12 mai 1937, et Jeanne (« Jeannette », elle aussi !), née le 12 décembre 1939.
Au moment de l’arrestation du chef de famille, celle-ci est domiciliée au 14, rue de Belgique à Lorient-Keryado (56).
Raymond Hervé travaille comme ouvrier plombier à l’usine à gaz de Lorient, appartenant alors à la Compagnie Industrielle d’Éclairage. Dans le quartier de la Nouvelle Ville, l’usine occupe un grand espace de 200 sur 100 mètres, clos par un haut mur entre les rues du Gaz (actuelle rue Raymond Pitet), Duguay-Trouin et Sainte-Marie (actuelle rue Lesage ou Le Sage) [1]. Le site est dominé par deux hautes cheminées et trois gazomètres.
Membre du parti communiste, Raymond Hervé est aussi militant de la CGT, secrétaire du Syndicat du Gaz de Lorient.
Sous l’occupation, contacté par Pierre Le Gal (?) et, peut-être, Louis Guigen, il rejoint l’organisation clandestine du Parti communiste en février 1941.
Le 5 août 1941, plusieurs employés de l’usine à gaz de Lorient, dont Raymond Hervé, signent une pétition protestant contre l’attitude du directeur de l’exploitation envers les ouvriers.
Une semaine plus tard, le 12 août, « suite aux entretiens verbaux [les ayant] réunis à la sous-préfecture », la direction de la Compagnie Industrielle d’Éclairage adresse au commissaire spécial de Lorient une lettre faisant état de sabotages commis dans l’usine à gaz. « Nous avons constaté, vendredi 8 août 1941, vers 15 heures 30, le fait suivant : le moteur de secours de la salle des machines a été mis hors d’état de fonctionner par un “bouclage” du circuit d’allumage, alors que ce moteur était à l’arrêt. Nous tenons à vous signaler l’importance de la bonne marche de cette machine, qui doit être mise en route à la moindre alerte.Son arrêt fait entrer en pression les fours et la conduite allant des barillets à la salle des machines. Le gaz, n’ayant plus de passage, s’échappe par les fissures de la maçonnerie et par les joints des portes. Il prend feu au contact de l’air et, la nuit, la luminosité parfaite serait un admirable point de repère en cas d’attaques aériennes. D’autre part, dimanche 10, à 9 h 30 du matin, il a été constaté que le siphon d’aspiration a été noyé et, au moins depuis 6 h 30 le matin, l’aspiration du gaz ne se faisait plus. En dehors de la perte sèche en gaz, il est bien entendu que notre consommation en charbon prend des proportions considérables, alors que tous les organismes professionnels préconisent de grandes économies, auxquelles nous nous astreignons d’ailleurs chaque jour. Espérant que ceci puisse vous aider dans votre enquête… »
Le 13 août 1941, le préfet du Morbihan prend un arrêt d’internement administratif à l’encontre de Raymond Hervé. Le jour même, celui-ci est arrêté – pour la première fois – au camp de Choisel à Châteaubriant (Loire-Inférieure / Loire-Atlantique).
Le 16 août, le préfet du Morbihan adresse une lettre au Ministre de l’Intérieur indiquant que l’attitude de Raymond Hervé était devenue de plus en plus arrogante depuis l’ouverture du conflit germano-russe, lui imputant deux sabotages « en raison de son action auprès de ses camarades ».
Le 23 septembre suivant, le préfet délégué du ministre de l’Intérieur prescrit au préfet de Loire-Inférieure de libérer Raymond Hervé. Trois jours plus tard, 26 septembre, ce cadre préfectoral signe l’arrêté rapportant la mesure d’internement : Raymond Hervé est libéré le 2 octobre.
Dix jours plus tard, le 12 octobre, il est de nouveau arrêté, à son domicile, par des Feldgendarmes et des policiers français et emprisonné à Lorient.
Le 31 octobre, à Vannes, il comparait devant le tribunal militaire allemand de la Feldkommandantur 750 pour sabotage ou « manifestation anti-allemande » (?), avec trois de ses camarades. Le 3 novembre, ces derniers sont condamnés à quatre mois de prison et Raymond Hervé à cinq mois. Le 4 décembre, il est transféré depuis la Maison d’arrêt de Vannes à celle de Saint-Brieuc.
À l’expiration de sa peine, le 1er avril 1942, il n’est pas libéré. Maintenu en détention allemande, il est interné au camp de Royallieu à Compiègne (Oise) où il est enregistré le 4 avril ; matricule 3843, bâtiment A3, chambre 7, puis bât. 7, ch. 13 (lettre du 24 juin).
Le 3 avril, il écrit à sa femme et lui conseille la prudence : « Me voilà libéré d’une prison pour entrer dans une autre. Je suis cette fois parti bien loin de vous ; me voilà maintenant interné dans un camp de concentration de Compiègne. (…) Fais attention à ce que tu écris. (…) Parle de moi souvent de moi aux gosses. » Il lui recommande de s’installer à Quiberon avec ses enfants pour y « être davantage en sûreté qu’à Lorient ».
Entre fin avril et fin juin 1942, Raymond Hervé est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Comme la plupart de ses camarades, Raymond Hervé jette depuis le convoi – à hauteur de Chalon-sur-Marne – un message qui parviendra à ses proches : « Tu sais, cela n’est pas très facile d’écrire dans un wagon à bestiaux. (…) Embrasse bien fort nos enfants pour moi, car maintenant je ne sais pas quand je pourrai le faire moi-même, hélas. Enfin, vivement que cette maudite guerre soit finie. »
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Raymond Hervé est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45661 (sa photo d’immatriculation a été retrouvée).
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oswiecim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp) ; Raymond Hervé se déclare effectivement comme plombier (Klempner). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, Raymond Hervé est probablement dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.
En effet, à une date restant à préciser, il est admis au Block 20 de l’hôpital des détenus d’Auschwitz-I.
Il meurt à Auschwitz le 23 septembre 1942, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) et une copie du registre de la morgue (Leichenhalle) relevée clandestinement par la résistance polonaise interne du camp, et où est inscrit le matricule n° 445661 (ce local de regroupement temporaire des cadavres est situé au sous-sol du Block 28) ; la cause indiquée pour sa mort est « Érésipèle consécutif au typhus » ([Wund]rose nach Fleckfieber).
(Raymond Hervé est le seul “45000” domicilié dans le Morbihan)
Après son arrestation et suivant son conseil, son épouse quitte Lorient et trouve refuge avec leurs enfants au bourg de Landaul (Morbihan). Elle s’adresse en vain aux autorités françaises et à la Croix-Rouge pour obtenir de ses nouvelles.
Son frère, Lucien, infirmier à l’hôpital Bichat, 170 boulevard Ney (Paris 18e), est entré dans la Résistance en 1942 au maquis “Félicité”, dépendant du maquis “Surcouf” de Pont-Audemer (Eure). Arrêté, affreusement torturé, il a été fusillé à La Noë-Poulain le 24 août 1944 avec deux de ses camarades.
Le 6 juin 1945, Lucien Penner, de Vanves, écrit à une proche qu’ « à la date du 13 août 1943, ce camarade n’était plus parmi les survivants, puisque sa femme n’a jamais reçu de nouvelles ; d’autre part, parmi mes camarades, aucun ne se rappelle de lui. » Trois semaines plus tard – par l’intermédiaire d’une veuve de fusillé, peut-être Marguerite Corringer, une “31000” – Henri Hannhart, d’Alfortville, qui l’a connu, témoigne également de sa disparition.
En septembre 1945, Raymonde Hervé, veuve de Lucien, alors domiciliée au 13 rue Martin-Levasseur à Saint-Ouen (Seine), remplit un premier formulaire de « demande de renseignements » concernant son beau-frère Raymond. Elle y mentionne le départ de celui-ci vers Auschwitz le 6 juillet 1942.
Le 6 avril 1946, Camille Nivault, rescapé, domicilié à Paris 18e, rédige sur papier libre un certificat par lequel il déclare (selon son estimation) que Raymond Hervé, « déporté au camp d’Auschwitz à la date du 6 juillet 1942 est décédé à ce camp en octobre 1942 ».
Le 12 mai 1946, l’officier de l’état civil alors en fonction au ministère des anciens combattants et victimes de la guerre (ACVG) dresse l’acte de décès officiel de Raymond Hervé « sur la base des éléments d’information figurant au dossier du de cujus, qui nous a été présenté ce même jour » – probablement l’attestation de Camille Nivault – le fonctionnaire fixant la date au mi-temps du mois déclaré, soit le 15 octobre 1942.
À une date restant à préciser, Raymond Hervé est déclaré “Mort pour la France”.
Le 14 janvier 1952, Jeanne Hervé – en qualité « d’épouse » – complète et signe un formulaire du ministère des ACVG pour demander l’attribution du titre de Déporté politique à son mari à titre posthume. À la rubrique IV-A, « Renseignements relatifs à l’arrestation et l’exécution, l’internement ou la déportation », elle inscrit par deux fois « Manifestation anti-allemande ». Le 12 mai 1952, après avis favorable de la commission départementale, le ministère décide l’attribution du titre de déporté résistant à Raymond Hervé. Le 10 juin, l’administration envoie la carte DP n° 1105.01046 à sa veuve, alors domiciliée au 5, cité Léo Le Borgne à Lorient.
Le 23 juillet 1952, ayant reçu – depuis juin 1946 ! – une copie de l’acte de décès établi à Auschwitz, le ministère des ACVG fait rétablir la date exacte par rectification de la mention en marge des actes d’état civil.
La mention “Mort en déportation” est apposée sur l’acte de décès de Raymond Hervé (J.O. du 4-01-1994).
Après la guerre le conseil municipal de Lorient donne son nom à une rue de la ville.
Les archives du commissariat spécial de Lorient ont disparu lors de la destruction quasi totale de la ville avant sa libération.
Notes :
[1] L’usine à gaz de Lorient : à son emplacement en 2021, est installé le groupe scolaire public de la Nouvelle Ville ; du côté de la rue Pillet, dans le parking réservé au personnel, deux socles de gazomètres ont été conservés, et, au n° 39 rue Duguay-Trouin, la maison du gardien (?) existe encore.
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 14, 369 et 407.
Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Bretagne (2002), citant : lettres de sa veuve (1972) et de sa fille, Marcelle Moisan (2-11/ 1991), qui fournissent plusieurs photocopies de documents de l’époque : certificat de présence à Châteaubriant (18 août 1941) et à Compiègne (avril 1942) ; lettre de Compiègne ; lettre jetée du convoi et datée de Châlons-sur-Marne disant « Nous prenons la direction de l’Allemagne » ; attestation d’appartenance au Front national (1/1950).
Documents transmis par sa fille, Marcelle Moisan : courrier de prisons et de Royallieu-Compiègne, documents administratifs.
Site patrimoine.lorient.bzh, Archives et patrimoine, ville d’art et d’histoire : Architecture, Établissements commerciaux, Usines à gaz.
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 446 (32402/1942).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 13-12-2023)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.