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IDENTIFICATION INCERTAINE…
Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.

S’agit-il de Robert, Fernand, Bastian, né le 29 décembre 1921  à l’hôpital Beaujon (208 rue du Faubourg-Saint-Honoré) à Paris 8e, fils de François Bastian et de Françoise Boucharel, son épouse, 22 ans, native de Corrèze, qui habitent Asnières depuis, au moins, 1919 ?

Fin 1938, à Paris, Robert Bastian s’engage pour cinq ans dans la Marine nationale. Le 6 janvier 1939, il est incorporé comme matelot de 2e classe au 3e dépôt des équipages de la flotte, à Toulon. Le 14 février, il rejoint l’école des fusiliers. Mais il est réformé pour inaptitude physique et congédié le 5 avril suivant.

Il retourne alors chez ses parents, chez lesquels il restera officiellement domicilié, au 17, rue Daniel à Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine – 92) ; une rue perpendiculaire à la Seine, près du pont de Clichy. Il est célibataire.

Au moment de son arrestation, il est apprenti-coiffeur depuis quelques semaines, n’ayant jamais travaillé auparavant. « Dans son entourage, il ne fait l’objet d’aucune remarque au point de vue politique » : il n’appartient donc pas à un réseau de militants qui auraient pu le connaître (… et le reconnaître).

« Au point de vue moral, il est assez défavorablement représenté et [passe] pour être peu honnête et peu scrupuleux ». Pendant plusieurs années, il ne vit que d’expédients, fréquentant « le milieu spécial des souteneurs et des trafiquants de stupéfiants de Montmartre ».

Le 10 juin 1940, à Paris, il est condamné à treize mois d’emprisonnement avec sursis pour vol. Le 3 septembre suivant, à Paris, il est condamné à treize mois pour « stupéfiants », ayant été associé avec un trafiquant de drogue notoire, Roger d’Alençon. Il est écroué à la Maison d’arrêt de Fresnes (Seine / Val-de-Marne). Le 4 octobre 1941, il est condamné à quatre mois pour un vol commis le 10 août précédent. Une interdiction de séjour lui est notifiée le 24 septembre. Il est libéré le 10 novembre (libération effective ?).

Ne paraissant pas « susceptible de s’amender » et n’offrant « aucune garantie du point de vue familial », considérant surtout qu’il représente « un danger pour la sécurité publique », la préfecture de police décide de son internement administratif. Pendant un temps, il est détenu au dépôt (la Conciergerie, sous le palais de Justice).

Le 3 janvier 1942, Robert Bastian fait partie des douze internés administratifs « indésirables » relevant de la police judiciaire qui partent avec 38 internés politiques relevant des Renseignements généraux de la préfecture de police qui sont extraits du dépôt et conduits en autobus sous escorte motorisée à la gare d’Austerlitz pour y prendre un train à destination du centre de séjour surveillé de Rouillé (Vienne) ; départ 7h55, arrivée prévue à 18h51 via Poitiers..

Le 22 mai suivant, Robert Bastian fait partie d’un groupe de 156 internés – dont 126 futurs “45000” – remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduit au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise – 60), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).Son nom trouve une place “vacante” dans les listes alphabétiques reconstituées des déportés du 6 juillet 1942, et le visage du détenu portant le matricule 45202 pourrait correspondre à son âge : 21 ans. La page du registre du recrutement militaire indique comme signalement : « cheveux châtains, yeux marrons, front petit, nez rectiligne, visage ovale… ». Si le fait que sa tête soit rasée ne permet guère de se rendre compte de la couleur de ses cheveux, le reste de la description est plutôt en accord avec la photo d’Auschwitz.

Son statut de droit commun l’a peut-être isolé : s’il a bien été déporté à Auschwitz au sein de leur convoi, aucun rescapé “45000” n’a mentionné son existence.

Aucun acte de décès ayant pu être établi à son nom par l’administration SS du camp n’a été retrouvé (faisant peut-être partie de ceux qui ont été détruits lors de l’évacuation de janvier 1945) ; les archives du Musée d’Auschwitz-Birkenau ne conservent aucun document portant son nom…

En avril 1945, les services de la préfecture de la Seine envoient une demande de renseignements à la préfecture de police concernant Robert Bastian, déclaré « non-rapatrié à ce jour ».

Le 14 novembre 1946, à la mairie d’Asnières, sa mère – veuve ? – remplit un formulaire dactylographié à en-tête du ministère des anciens combattants et victimes de guerre (ACVG) « en vue d’obtenir la régularisation de l’état-civil d’un “non rentré” ». Dans l’espace destiné à indiquer « les précisions sur la capture ou l’arrestation et sur les renseignements parvenus depuis ce moment », Madame Bastian écrit seulement : « arrêté au début juillet 1942 dans la rue Asnières, interné à Compiègne et transféré en Allemagne, dates et destination inconnues, sans nouvelles depuis son arrestation ».

Le 5 décembre suivant, elle renouvelle sa demande sur un formulaire identique mais imprimé. Désignant son fis comme « déporté politique », elle donne comme précision : « Arrêté Asnières vers le 20 juillet 1942 et suis sans nouvelle depuis son arrestation, envoyé dans un camp à Compiègne et dirigé sur l’Allemagne, c’est tout ce que je peux savoir de mon fils ». Sur la dernière ligne à compléter du formulaire, elle indique que son fils n’a pas reparu à son domicile depuis le « 20 juillet 1942 ». Plus haut dans son courrier, Françoise Bastian mentionne que l’allocation perçue pour un non rentré lui a été supprimée en mars précédent. Les indications fournies serviront de base à l’établissement de l’acte de disparition du 18 décembre 1946.

Dans aucun des deux formulaires, Madame Bastian ne fait allusion aux peines d’emprisonnement subies par son fils, ni à son internement au camp de Rouillé : depuis combien de temps a-t-elle perdu le contact avec lui ? Son témoignage semble peu probant. Cependant, le ministère des ACVG se fondera sur celui-ci pour construire son dossier. Aucun autre témoin ni association de déportés n’est sollicité.

Le fait que sa mère ait indiqué qu’il a été arrêté dans la rue à Asnières a conduit à la formulation que c’était « au cours d’une rafle ». Les familles juives étant nombreuses à avoir été arrêtées ainsi, notamment lors de la rafle du Vel d’Hiv, un employé du ministère s’est cru autorisé à faire le lien et a indiqué : « Arrêté le 12 juillet 1942. Interné au Grand Palais puis transféré à Compiègne… » (Avis destiné au bureau des fichiers de la direction de l’état civil et des recherches, 2 octobre 1948).

Le 9 octobre 1953, le tribunal civil de la Seine rend un jugement déclaratif de décès selon lequel Robert Bastian est mort à Compiègne en juillet 1942.

Le 18 octobre 1960, Madame Bastian remplit un formulaire d’attribution du titre de déporté politique pour son fils. Cette fois-ci, elle fixe la date de l’arrestation de son fils au 13 juillet 1942, indiquant comme situation au moment de l’arrestation : « réfractaire au travail obligatoire ». Elle met un point d’interrogation aux rubriques « Autorité qui à procédé à l’arrestation » et « Circonstances ». À la rubrique « …indiquer la date et le lieu des dernières nouvelles », elle écrit : « Compiègne juillet 1942 ». Cette indication réitérée du courant juillet laisse supposer qu’elle a reçu dans cette période – le 20 ? – la carte-formulaire envoyée aux familles par l’administration militaire du Frontstalag 122.

Dans sa séance du 14 juin 1962, la commission départementale d’attribution, ayant certainement pris connaissance des informations transmises par la police, rend un avis défavorable, au motif que Robert Bastian : « semble avoir été maintenu en prison après l’arrestation en raison de ses antécédents ». Après un avis identique de la commission nationale, le ministère des ACVG prononce un rejet de la demande d’attribution du titre de déporté politique qui est transmis à Madame Bastian le 27 février 1963.

Sources :

- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles (SMAC), Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “Occupation allemande”, État des internés de la Seine ayant quitté le camp de Rouillé au 10 septembre 1942 ; cabinet du préfet (1w1388), dossier de Robert Bastian (74778).
- Archives départementales de la Vienne, Poitiers : préfecture de la Vienne, camp de Rouillé, dossier d’interné (109 W 85) ; camp de Rouillé, dossier d’interné (109 W 384), demande de Ginette Petiot.
- Division des archives des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, Caen, dossier de Robert Bastian consulté par Ginette Petiot (message 09-2015).
- Ministère de la Défense, Marine nationale, direction du personnel militaire de la Marine, centre DPMM Lamalgue, BCRM Toulon, bureaux de réserve militaire et maritime des matricules ; registre matricule du bureau de recrutement de Toulon, classe 1939, n° 1902, transmis par G. Petiot.
- Mémorial de la Shoah, Paris, archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) ; liste XLI-42.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour le 28-06-2022)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.