- Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.
Robert Morizot naît le 9 novembre 1903 à la maternité de Dijon (Côte-d’Or – 21), fils d’Antoinette Morizot, 17 ans, ouvrière domiciliée Maison Troumois, aux Poussots. Le 16 novembre 1907, par acte de mariage, Henri Frétel, 23 ans, maçon, ayant effectué son service militaire d’octobre 1905 au 28 septembre 1907, légitime la paternité de Robert, ainsi que celle de ses sœurs, Suzanne, née le 3 novembre 1904, et Marie, née le 17 janvier 1907.
La famille déménage souvent. En décembre 1907, ils habitent au 8 rue de la Goutte-d’Or à Dijon. En mai 1909, ils demeurent à Lamarche-sur-Saône, où naît Albert, Paul, le 30 septembre. En juillet 1911, ils ont déménagé à Pontailler-sur-Saône (21). En juin 1912, ils sont revenus à Dijon et logent au 29, rue Magenta. En juin 1913, ils demeurent rue des Bégonias. L’année suivante, ils habitent ruelle des Poussots.
Rappelé à l’activité militaire par le décret de mobilisation générale du 2 août 1914, Henri Frétel, le père, rejoint le lendemain le 57e régiment territorial d’infanterie comme brigadier clairon. Le 4 décembre 1915, il passe au 68e bataillon de chasseurs alpins. Sa fille, Georgette Yvonne, naît le 22 juin 1915 à Dijon.
Le 28 septembre 1917, Henri Frétel passe au 11e régiment d’artillerie à pied. En octobre suivant, il passe au 65e régiment d’artillerie de campagne, le 24 décembre 1918, au 54e R.A.C. Il aura été « en campagne » du 11 août 1914 au 4 février 1919. Lors de cette mobilisation, à une date et dans des circonstances à préciser, il a été blessé au coude droit (fracture, contusion) par « éclatement d’obus ». Le 5 février, il se retire provisoirement au 233, rue Boileau à Lyon.
En mars 1919, Henri Frétel habite au quartier du Mont-Désir (?) à Montélimar (Drôme). En mars 1923, il habitera encore dans cette ville (l’armée l’y enregistre dans la réserve) et il semble qu’il s’y installe définitivement avec une partie de sa famille.
Dans cette période, Robert Frétel s’en éloigne géographiquement…
Le 22 décembre 1922 à Chevry-Cossigny (Seine-et-Marne), âgé de 19 ans, il se marie avec Berthe Marcou, née à Chevry le 12 mars 1900. Ils auront sept enfants : Alfred, né précédemment en 1921, Marcel, né en 1923, Rolande, née en 1925, André, né en 1931 et Madeleine, née en 1933, tous nés à Chevry. En novembre 1941, quatre jeunes enfants seront encore à charge : André, alors âgé de 10 ans, Madeleine, 7 ans, Maurice, 5 ans, et Raymonde, 2 ans 1/2.
En 1923, Robert Frétel effectue son service militaire au 5e C.O.A. à Orléans (Loiret).
En 1926 et jusqu’au moment l’arrestation du chef de famille, celle-ci est domiciliée rue des Fossés, à Chevry-Cossigny. En 1936, Robert Frétel et son fils Alfred, 15 ans, sont manouvriers pour la fabrique de sucre de l’entreprise agricole Dufay & Compagnie, qui fournit de nombreux emplois aux habitants du village.
Cette même année, Robert Frétel adhère au Parti communiste, dont il reste membre jusqu’en 1939. Pendant un temps secrétaire et trésorier de la cellule locale, il en est aussi le porte drapeau ; le 14 juillet 1938, il fait l’objet d’un procès verbal de police et est condamné à 1 franc d’amende pour avoir enfreint un arrêté interdisant l’exposition de drapeaux autre que le drapeau national.
Le 2 octobre 1940, trois inspecteurs de police transmettent un court rapport au commissaire spécial de Melun pour désigner Robert Frétel comme un militant de l’ex-parti communiste qui n’aurait rien abandonné de ses idées et serait tout particulièrement prêt « à reprendre, si elle n’est déjà reprise, une certaine activité ».
À la veille de son arrestation, Robert Frétel travaille chez le maire de la commune. En novembre 1941, son fils Marcel est charretier à la ferme Dufay (sucrerie) de Chevry, et sa fille Rolande est ouvrière agricole « aux betteraves » à la ferme d’Attilly.
Le 4 octobre 1941, Robert Frétel est arrêté. Deux semaines plus tard, du 18 au 21 octobre, une vague d’arrestations décidée par l’occupant vise les communistes de Seine-et-Marne, priss comme otages en représailles de distributions de tracts et de destructions de récolte ayant eu lieu dans le département : 42 d’entre eux seront des “45000”. Selon la police française, Robert Frétel a été arrêté pour ce motif.
Il est finalement interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager), et assigné au bâtiment A3.
Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Robert Frétel est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45559 (sa photo d’immatriculation a été retrouvée).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp) et au cours duquel Robert Frétel se déclare sans religion (Glaubenslos). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Robert Frétel.
Il meurt à Auschwitz le 19 septembre 1942, alors qu’a lieu une grande sélection des « inaptes au travail » à la suite de laquelle 146 des “45000” sont inscrits sur le registre des décès (Sterbebucher) en deux jours, probablement tués d’une piqûre intracardiaque de phénol ou gazés [1] ; sur l’acte de décès établi par l’administration SS du camp, la cause mensongère indiquée pour sa mort est « cachexie (épuisement) par entérite (diarrhée…) », Kachexie bei Darmkatarrh.
Le 5 août 1942, le maire de Chevry-Cossigny a écrit au préfet de Seine-et-Marne pour lui « rendre compte que la famille Frétel […] est sans nouvelle de leur mari et père, Frétel Robert, détenu en qualité d’otage au Frontstalag 122 de Compiègne sous le n° 1652 A3 depuis le début d’octobre 1941. La dernière carte reçue remonte aux derniers jours de juin. D’après ce que j’ai pu savoir par ses deux codétenus Franconville et Amarger, libérés le 28 juin dernier, Frétel était destiné pour l’Allemagne ou la Pologne comme travailleur et avait à cet effet passé une visite médicale par les autorités d’occupation. Je vous serais très obligé de bien vouloir intervenir auprès des autorités allemandes en vue de connaître sonnouveau point d’internement et, si possible, obtenir de ses nouvelles. J’ai, de mon côté, écrit à la Croix Rouge française, 6 rue de Berry à Paris, pour demander sa bienveillante intervention. »
Berthe Frétel, veuve de Robert, décède à la Queue-en-Brie le 27 juillet 1968.
Notes :
[1] Les chambres à gaz du centre de mise à mort situé à Birkenau fonctionnent principalement pour l’extermination des Juifs dans le cadre de la “Solution finale”, mais, jusqu’en mai 1943, elles servent également à éliminer des détenus, juifs ou non, considérés comme “inaptes au travail” (opération commencée en avril 1941, dans d’autres camps, sous le nom de code 14 f 13). Les détenus d’Auschwitz-I sélectionnés pour la chambre à gaz sont amenés en camions à Birkenau. Quelquefois, ils attendent la mort au Block 7 de ce camp.
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 73, 150 et 153, 378 et 404.
Archives départementales de Côte-d’Or, site internet, archives en ligne : registre des naissances de Dijon (FRAD021EC 239/368), année 1903, acte 1136 (vue 324/409) ; registres matricules du recensement militaire ; recensements de population.
Archives départementales de Seine-et-Marne, Dammarie-les-Lys : cabinet du préfet, dossiers individuels de personnes arrêtées (3384w8).
Archives départementales de Seine-et-Marne, site internet, archives en ligne : recensements de population de Chevry-Cossigny 1926, 1931, 1936.
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 311 (31736/1942).
Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : liste de détenus français morts au camp de concentration d’Auschwitz relevée par le S.I.R. d’Arlosen (26 P 821 – Auch. 1/7), page 6, n° 116.
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 11-07-2020)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous dispose (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.