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- Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.
Roger, Alphonse, Bataille naît le 16 février ou mars 1906 à Saint-Malo (Ille-et-Vilaine), fils d’Alphonse, François, Marie, Bataille 31 ans, employé aux Ponts et Chaussées (éclusier ?), et de Rose Lelardoux, 22 ans, son épouse, domiciliés au 16 rue de l’Orne.
Le 4 octobre 1928, à Vitry-sur-Seine (Seine / Val-de-Marne), Roger Bataille se marie avec Émilienne Staath, née le 29 février 1908 à Paris 15e. Au moment de son arrestation, ils n’ont pas d’enfant.
Pendant un temps, il habite au 32, rue Gévelot à Issy-les-Moulineaux (Seine / Hauts-de-Seine – 92). Du 1er janvier 1935 au 15 janvier 1938, il habite au 14, rue Maître-Albert à Paris 5e.
Au moment de son arrestation, il est domicilié au 50, rue Georges-Sorel à Boulogne-Billancourt [1] (92), dans un logement de deux pièces.
Du 9 mai 1934 au 27 février 1935, puis du 2 juillet 1936 au 24 novembre 1938, il est ajusteur aux usines Renault. Militant communiste, il y est adhérent de la cellule de l‘atelier 331, rattachée à la section locale, sans y occuper de fonction particulière mais assistant aux réunions, fêtes et manifestations organisées. Son épouse, Émilienne, travaille et milite également aux usines Renault, dans l’atelier 309. Tous deux sont licenciés à la suite de la grève de novembre 1938.
Le 15 mars 1939, Roger Bataille est embauché à la Société générale de fabrication aéronautique Farman, quai de Boulogne à Billancourt. Quand la guerre est déclarée, il y est mobilisé comme “affecté spécial”, l’usine travaillant pour la Défense nationale.
Après la dissolution du PCF, il reste en relation avec des militants d’usine (certains étant arrêtés plus tard pour activité de propagande) et est soupçonné par le commissaire de police de la circonscription de Boulogne-Billancourt de transmettre certains mots d’ordre entre la Région du PCF clandestin et les sections locales.
Du 15 octobre 1940 au 16 janvier 1941, il travaille comme chaudronnier-tuyauteur au garage Beaudoin, sis au 13, rue de Varize à Paris 16e. À la fin de cet engagement, il s’inscrit au fonds de chômage de sa commune.
Le 20 novembre 1940, le commissaire de police de Boulogne-Billancourt envoie au directeur des Renseignements généraux de la préfecture de police un court rapport signalant « aux fins d’internement » Roger Bataille, « communiste acharné, continuant son activité ».
Pourtant, rien de précis n’est relevé contre lui et la perquisition effectuée à son domicile quelques jours avant son arrestation n’amène la découverte d‘aucun tract ou document de propagande subversive. Chez Farman, on ne lui a connu aucune activité politique et il ne se fait pas remarquer pour ce motif dans son entourage.
Le 20 janvier 1941, Roger Bataille est arrêté à son domicile. Le même jour, le préfet de police signe l’arrêté ordonnant son internement administratif, en application du décret du 18 novembre 1939, en même temps que celui de 65 autres militants communistes de la Seine. Ils sont 69 à être « dirigés directement » à la Maison centrale de Clairvaux (Aube), où sont bientôt regroupés 300 détenus politiques.
Le 7 avril, Émilienne Bataille écrit au préfet de la Seine : « Arrêté sans raisons apparentes […], il fut transféré de suite à la prison de Clairvaux, établissement réservée depuis longtemps aux condamnés de droit commun à de lourdes peines » ; « Obligation à lui été imposée de revêtir le costume de condamné. Tenant compte du régime alimentaire qui lui est imposé et dont sa santé pourrait souffrir, je m’efforce pour lui adoucir ce régime, mais les règlements pénitentiaires ne m’autorisent que deux colis de 3 kilos par mois… » ; « pourquoi l’a-t-on arrêté, pourquoi le garde-t-on, puisqu’il est probe et honnête ? Les prisons sont faites, je crois, pour les gredins. Dans ces conditions, je vous demanderais de bien vouloir rapporter la mesure injustifiée qui a été prise contre lui… ». Le 23 avril, le cabinet du préfet de police transmet ce courrier aux Renseignements généraux pour enquête et avis. Le 26 mai, ce service répond : « Communiste notoire et meneur très actif, sa libération ne semble pas opportune. Le commissaire principal de la circonscription de Boulogne, consulté, a émis un avis défavorable à sa libération. » Le 9 juin, le chef du 1er bureau du cabinet du préfet écrit à ce même commissaire pour lui demander de « faire connaître à Madame Bataille qu’il n’est pas possible d’envisager, pour le moment, la libération de l’intéressé. »
Le 23 septembre, J.-P. Ingrand, préfet délégué du ministre de l’Intérieur dans les Territoires occupés (à Paris), demande au préfet de l’Aube de retirer de Clairvaux les internés administratifs qui y sont « hébergés » (sic !) ; ordre rapidement exécuté.
Le 26 septembre, Roger Bataille fait partie de la centaine d’internés de Clairvaux transférés en train, via Paris, au “centre de séjour surveillé” (CSS) de Rouillé, au sud-ouest de Poitiers (Vienne).
Au printemps, son épouse s’adresse à une haute autorité française : le 9 mai, le ministère de l’Intérieur écrite au préfet de police pour lui demander de lui « faire connaître d’urgence les raisons de la décision prise à l’encontre de l’intéressé ainsi que [son] avis sur l’opportunité d’une mesure de clémence à son égard » (accompagnant ce courrier d’un procès-verbal d’audition, à Rouillé).
Le 22 mai 1942, Roger Bataille fait partie d’un groupe de détenus – dont 148 de la Seine, pour la plupart déportés ensuite avec lui – remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).
Entre fin avril et fin juin 1942, Roger Bataille est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juin, les Renseignements généraux achèvent la rédaction d’une nouvelle notice en signalant que le commissaire de police de Boulogne « ne s’oppose pas actuellement à ce qu‘une mesure éventuelle de clémence soit prise en sa faveur », concluant que celle-ci pourrait être accordée « sous réserve qu’il s’engage à s’abstenir de toute activité politique illégale et à se rallier à la politique du maréchal Pétain ».
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus de Royallieu sélectionnés sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises.
Le 8 juillet 1942, Roger Bataille est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45204 (ce matricule sera tatoué sur son bras gauche quelques mois plus tard).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20.
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.
Le 13 juillet, après l’appel du soir – l’ensemble des “45000” ayant passé cinq jours à Birkenau – Roger Bataille est dans la moitié des membres du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.
À Auschwitz-I, Roger Bataille fait partie du Kommando de la serrurerie (Schlosserei) : il y est enregistré entre le 23 septembre et le 9 novembre 1942, puis figure comme chaudronnier sur une liste datée du 15 avril 1943.
En juillet 1943, la plupart des détenus “politiques” français d’Auschwitz (essentiellement des “45000”) reçoivent l’autorisation d’écrire – en allemand et sous la censure – à leur famille et d’annoncer qu’ils peuvent recevoir des colis (à vérifier le concernant…).
À la mi-août, Roger Bataille est parmi les “politiques” français rassemblés (entre 120 et 140) au premier étage du Block 11, la prison du camp, pour une “quarantaine”. Exemptés de travail et d’appel extérieur, les “45000” sont témoins indirects des exécutions massives de résistants, d’otages polonais et tchèques et de détenus du camp au fond de la cour fermée séparant les Blocks 10 et 11.
Le 3 août 1944, Roger Bataille est parmi les trois-quarts des “45000” présents à Auschwitz qui sont de nouveau placés en “quarantaine” en préalable à un transfert.
Le 7 septembre, il est dans le petit groupe de trente “45000” transférés – dans un wagon de voyageurs ! – au KL [2] Gross-Rosen, dans la région de Wroclaw (matricule 40971).
Le 10 février 1945, il est parmi les dix-huit “45000” transférés à Hersbrück, Kommando de Flossenburg (matricule 84303). Le 8 avril, avec les mêmes camarades, il est intégré dans une colonne de détenus évacués à marche forcée vers le KL Dachau, où les survivants arrivent le 24 avril.
Le 29 avril 1945, Dachau est libéré par l’armée américaine.
Roger Bataille décède le 20 décembre 1973 à Ecquevilly (Yvelines).
Notes :
[1] Boulogne-Billancourt : créée sous le nom de Boulogne-sur-Seine en 1790, la commune prend le nom de Boulogne-Billancourt en 1926, le rattachement de Billancourt datant de 1859. Jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).
[2] KL : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 350 et 351, 358, 380 et 394.
Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), service de la mémoire et des affaires culturelles, le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “occupation allemande”, camps d’internement… (BA 2374), liste des internés communistes, 1939-1941 (BA 2397), dissolution du PC (BA 2447) ; dossier individuel du cabinet du préfet (1 W 644-18955) ; dossier individuel des Renseignements généraux (77 W 1538-46430).
Archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC), Paris : liste XLI-42, n° 25.
Archives départementales de la Vienne : camp de Rouillé (109W75).
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; relevé dans les archives (01-2009).MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 9-08-2018)
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En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.
- Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.