JPEG - 81.3 ko
Collection de Marie-Hélène Gaudeau-Genet.
Droits réservés.

Roger, Charles, Gaudeau naît le 25 décembre 1901 à La-Barre-en-Ouche (Eure – 27), au domicile de ses parents, Henri Gaudeau, 27 ans, gendarme à pied, et Marguerite Naudin, son épouse, 20 ans, mariés à Broglie (27) le 21 janvier 1901. Son père est muté aux Andelys en 1918.

Roger Gaudeau suit l’École Normale d’Évreux (27) et commence sa carrière d’instituteur en 1921.

Le 14 août 1924 à la Haye-du-Theil (27), il épouse Marie Piedelièvre, née le 8 janvier 1903 à Émanville (27), institutrice également. Ils ont un fils : Claude, Jacques, Émile, né le 15 mars 1932.

JPEG - 205.9 ko
Marie, Claude et Roger Godeau.
Collection de Marie-Hélène Gaudeau-Genet. Droits réservés.

En 1934, Roger Gaudeau obtient un poste à l’école de garçons du Petit-Andély, sur la commune des Andelys (27) dans la vallée de la Seine, son épouse étant directrice de l’école des filles. Ils sont domiciliés dans un logement de fonction de l’école, au 66, avenue de la République.

JPEG - 230.2 ko
L’école élémentaire en 2012, intégrée à la verrerie.
Au premier étage, les logements de fonction des directeurs.
Photo : Georgette Lecarpentier. Droits réservés.
Le Château Gaillard, surplombant la Seine et le Petit Andely. (ci-dessous, gros plan sur la partie droite de la photographie).

Le Château Gaillard, surplombant la Seine et le Petit Andely.
(ci-dessous, gros plan sur la partie droite de la photographie).

Le bâtiment au premier plan à droite est celui de l’école maternelle. De l’autre côté de l’avenue, matérialisée par le rideau de platanes, on devine le toit de l’école élémentaire avec la verrerie à l’arrière-plan. Carte postale non datée. Collection Mémoire Vive.

À droite, le bâtiment au premier plan est celui de l’école maternelle. De l’autre côté de l’avenue, matérialisée par le rideau de platanes, on devine le toit de l’école élémentaire
avec la verrerie à l’arrière-plan. Carte postale non datée. Collection Mémoire Vive.

Au début des années 1930, Roger Gaudeau devient également secrétaire de mairie à Fourmetot (27).

En 1936, militant à la SFIO, il est secrétaire de l’Union locale des syndicats CGT des Andelys. Il conseille les ouvriers des Andelys – notamment ceux de la verrerie Holophane, implantée derrière l’école – dans leurs revendications. Il est actif dans les démarches unitaires du Front populaire.

Le 8 juin 1940, lors de l’invasion allemande, le petit Andely n’est pas touché par le bombardement de la Lutwaffe qui détruit Le Grand Andely à 80% en lachant des centaines de bombes incendiaires (les usines non plus ne sont pas atteintes).

Au retour de l’exode, ni le commissaire de police des Andelys ni un conseiller municipal ne constatent une reprise d’activité politique de la part Roger Gaudeau.

À une date restant à préciser, le préfet de l’Eure fait établir une liste des militants communistes de son département sur laquelle son nom est pourtant inscrit.

Le 22 octobre 1941, lors d’une vague d’arrestations organisée dans les cantons de Gaillon et des Andelys, des Feldgendarmes d’Évreux se présentent au domicile de Roger Gaudeau. En son absence, Marie, son épouse, est arrêtée devant leur fils de neuf ans, Claude, puis conduite au siège de la Feldgendarmerie aux Andelys (peut-être les locaux de la brigade locale de la gendarmerie française). Leur fils et leur nièce, présente à la maison, sont envoyés chez des voisins. Le lendemain, Roger Gaudeau se présente aux autorités et obtient la libération de son épouse.

Le 24 octobre, en début d’après-midi, la Feldgendarmerie le conduit à Évreux. Une liste d’otages établie fin 1941 mentionne son arrestation pour « activité communiste » et son incarcération à la prison d’Évreux, ainsi que celle de Maurice Élet, d’Ézy-sur-Eure (27), et de Jean Even, de Gisors (27).

Le 25 octobre, Roger Gaudeau est conduit au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). Il y est enregistré sous le matricule n° 2004. Il est d’abord assigné au bâtiment A2 [1] de l’ancienne caserne.

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne, futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ; à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8. Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

Le quartier “A” de la caserne de Royallieu à Compiègne, futur “camp des communistes” du Frontstalag 122 ;
à droite, sont visibles les bâtiments A4, A5, A6, A7 et A8.
Carte postale des années 1930. Collection Mémoire Vive.

Entre le 27 octobre et le 5 juillet 1942, Roger Gaudeau parvient à envoyer un vingtaine de courriers à son épouse et à son fils. Dans l’ensemble de ses lettres, Roger parle peu des conditions de détention et ne cite aucun compagnon. Il s’inquiète surtout pour sa famille et ses amis, certifiant toujours que son moral est bon.

Au début, le nombre de lettres et de colis semble illimité. Puis, à partir de janvier 1942, limitation en nombre et en poids. Dans sa carte du 9 mars, il indique qu’ils ne peuvent recevoir ni lettres ni colis avant le 9 avril (la dernière lettre reçue date du 1er février).

Roger Gaudeau suit des cours, prépare une conférence sur les légendes normandes (janvier 1942). Réalisant des portraits pour ses compagnons, il prépare une exposition pour Noël.

À partir de la mi-mars, aux côtés d’autres enseignants ou spécialistes, il donne des cours à ses compagnons ; de dessin d’art tous les mardis matin et de sciences tous les mercredis après-midi.

Emploi du temps des cours donnés par l’organisation des détenus, noté par Angel Martin le 16 mars 1942.  Collection José Martin, son frère. Droits réservés.

Emploi du temps des cours donnés par l’organisation des détenus, noté par Angel Martin le 16 mars 1942.
Collection José Martin, son frère. Droits réservés.

En avril, Roger Gaudeau effectue « d’interminables marches dans la cour ».

Dans un mot du 21 mars, il parle « d’heures qui semblent précéder un grand évènement ».

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Après le 4 mai, Roger Gaudeau est assigné au bâtiment A0 [2].

Dans un mot du 29 juin, il annonce une évasion de dix-neuf internés entraînant des représailles : courrier réduit, suppression des poêles, donc plus de cuisine possible, suppression des activités. Il parle de bombes tombées sur le camp, faisant trois morts chez les Américains et deux blessés chez eux. Il prévient que des bruits circulent concernant un départ pour travailler en Allemagne.

Dans un mot du 5 juillet, il confirme le départ, le lendemain, pour une destination inconnue (sans doute pour l’Allemagne).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Roger Gaudeau est enregistré à Auschwitz sous le numéro 45574 (sa photo d’immatriculation a été retrouvée).

JPEG - 71.1 ko
Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oswiecim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Portail du secteur B-Ib du sous-camp de Birkenau par lequel sont passés tous les “45000”. © Mémoire Vive 2015.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Roger Godeau est dans la moitié des déportés du convoi sélectionnés pour rester dans ce sous-camp, alors que les autres sont ramenés à Auschwitz-I (voir ci-dessous).

Sa famille reçoit la carte-formulaire allemande (verte) envoyée le 16 juillet pour annoncer son départ vers une destination secrète.
Roger Gaudeau meurt à Birkenau le 4 novembre 1942, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher).
Le 28 juin 1945, un contact de Marie Gaudeau écrit à la Fédération Nationale des centres d’entraide des internés et déportés politiques. André Faudry lui répond dès le 1er juillet, sur papier à entête de la fédération, indiquant que lui-même était assigné au Block 11 de Birkenau avec Roger Gaudeau, et ajoutant que celui-ci était tombé malade du typhus fin août pour mourir « en septembre » à l’infirmerie du Block 12.
Le 24 janvier 1946, le conseil municipal des Andelys rend un premier hommage à son instituteur en donnant le nom de Roger Gaudeau à la rue située en face de l’école où il a enseigné…

JPEG - 150.9 ko
Photo : Georgette Lecarpentier. D.R.

…puis, le 29 février 1968, en baptisant le collège d’enseignement secondaire qui vient d’être construit rue Raymond-Phélip en remplacement d’un établissement plus ancien.

JPEG - 181.3 ko
Photo : Georgette Lecarpentier. D.R.

Le nom de Roger Gaudeau est inscrit sur une plaque déposée au pied du Monument aux morts 1914-1918 de la commune, avenue de la République.

JPEG - 300.4 ko
Photo : Georgette Lecarpentier. D.R.

… ainsi que sur la plaque apposée dans le hall de l’ancienne École normale d’instituteurs d’Évreux.

JPEG - 277.5 ko
Évreux. Dans le hall de l’ancienne École normale…
Photo Ginette Petiot.

Aujourd’hui (en 1999 ?), à 67 ans, son fils Claude Gaudeau a témoigné pour nous (élèves du collège Roger Gaudeau) : il avait neuf ans lorsque les gendarmes sont arrivés et ont arrêté en premier lieu sa mère, attendant que Roger Gaudeau, son père, revienne. Lui a attendu chez les voisins. Le lendemain, son père s’est présenté à la Kommandantur. Sa femme a été libérée. Depuis, Claude Gaudeau n’a jamais revu son père. Sa mère a essayé de le faire libérer, en vain. On lui reprochait de faire du syndicalisme révolutionnaire.

Ce que sait Claude Gaudeau de la déportation de son père, il l’a appris par des camarades de son père qui sont revenus. Mais cela ne suffit pas. Il faut un corps, un cercueil, une tombe pour être sûr. Il faut tout cela pour y croire et pour faire son deuil quand on a une dizaine d’années.

C’est dans une profonde émotion que Claude Gaudeau nous a annoncé qu’il avait une amnésie quasi totale de son enfance et qu’un cauchemar a hanté ses nuits pendant quarante ans dans lequel il voyait son père revenir.

Dans son souvenir, dans sa mémoire, reste à jamais inscrit l’amertume, encore difficile à vivre. Amertume à cause de la délation qui a envoyé son père à la mort, à cause de la plaque du mur de l’école, gravée en hommage à son père disparu, à cause de sa mère obligée à quitter Les Andelys.

Il se souvient aussi des mots martelés par une fillette à la Libération : « Tu n’as pas lieu de te réjouir, ton père est mort ! »

C’est avec toutes ses souffrances morales que Claude Gaudeau a appris à vivre. Son message c’est : « Ce n’est pas parce que l’on tue un homme que l’on tue ses idées. »


Notes :

[1] Le bâtiment A2 de la caserne de Royallieu est l’un des trois conservés pour constituer le Mémorial de l’internement et de la déportation, camp de Royallieu, ville de Compiègne.

[2] Le bâtiment A0 n’est pas clairement identifié : à vérifier…

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 363 et 405.
- Marie-Hélène Gaudeau-Genet, sa petite-fille, réponse à un questionnaire.
- Ancien site internet du collège Roger Gaudeau (fermé).
- Mémorial de la Shoah, Paris, site internet, archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC), XLIII-72.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 336 (38893/1942).
- Site Mémorial GenWeb, 27, Eure, Les Andelys, relevé de Bernard Butey (7-2008).
- Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen, dossier de Roger Gaudeau, cote 21 P 454 107, recherches de Ginette Petiot (message 12-2012).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 18-01-2013)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.