Roger, Georges, Fernand, Tessier naît le 2 juillet 1918 à Malesherbes (Loiret – 45), fils de Gaston Tessier, 42 ans, employé de commerce (?), et Léocadie Laure Sellier, 45 ans, son épouse, tous deux natifs de la Somme.
Le 14 août 1914, peu après le début début de la Première Guerre mondiale, son père – mobilisé au 64e régiment territorial d’infanterie – a été réformé n° 2 par la Commission de réforme de Nevers pour emphysème pulmonaire généralisé, puis maintenu réformé le 9 avril 1915 par la Commission de réforme de la Seine.
En 1935, la famille habite dans un immeuble, alors récent, au 19 rue des Deux-Communes à Montreuil-sous-Bois [1] (Seine / Seine-Saint-Denis – 93), voie séparant Montreuil et Vincennes.
Le père décède à leur domicile le 16 juin 1935.
En 1936 et jusqu’au moment de son arrestation, Roger Tessier habite toujours avec sa mère, alors au 47 rue des Deux-Communes. Il est célibataire.
Encarteur ou ouvrier photographe, il est au chômage au moment de son arrestation.
Il est membre des Jeunesses communistes.
Sous l’Occupation, il reste actif dans la clandestinité. Disposant d’une presse et d’accessoires à polycopier, il les utilise pour imprimer « des affiches, placards illustrés et papillons de propagande révolutionnaires » diffusés dans Montreuil « par les soins de plusieurs militants auxquels il [transmet] des directives » en tant qu’agent de liaison.
Le 20 octobre 1940, plusieurs membres de son groupe – dont Georges Guinchan – participent à une manifestation devant la mairie de Montreuil, réclamant le rétablissement de la municipalité destituée en février 1940. Les Allemands interviennent et font évacuer la place de la Mairie sous la menace de deux mitrailleuses.
Le 9 novembre suivant, Roger Tessier est arrêté à la suite d’une perquisition effectuée à son domicile au cours de laquelle la police française trouve « plusieurs documents communistes dont un croquis » de l’organisation clandestine des Jeunesses communistes de Montreuil, qu’il a eu l’imprudence de conserver. Le lendemain, inculpé d’infraction au décret du 26 septembre 1939, il est placé sous mandat de dépôt et écroué à la Maison d’arrêt de la Santé, à Paris 14e, ainsi que huit autres membres de son groupe. Arrêtée en même temps que lui et également inculpée, sa mère est laissée en liberté provisoire.
En janvier, Léocadie Tessier tente de faire circuler parmi les personnes attendant leur admission au parloir des familles une pétition pour obtenir l’autorisation d’apporter des vivres aux détenus.
Le 5 avril 1941, Roger Tessier comparaît, avec treize autres prévenus dont Georges Guinchan, devant la chambre des mineurs (15e) du Tribunal correctionnel de la Seine ; les parents de cinq accusés ont été convoqués comme civilement responsables. Roger Tessier est condamné à 18 mois d’emprisonnement et 100 fr d’amende. Lui et Guinchan se pourvoient en appel auprès du procureur de la République.
Le 6 mai, Roger Tessier est transféré à l’établissement pénitentiaire de Fresnes (Seine / Val-de-Marne).
Le 16 juin, la 10e chambre de la Cour d’appel de Paris confirme la première condamnation.
À l’expiration de sa peine, le 25 décembre, le directeur des prisons de Fresnes écrit à la direction des Renseignements généraux afin de lui faire connaître que Roger Tessier « est mis ce jour à (sa) disposition ». Au paragraphe suivant, ce fonctionnaire de l’administration pénitentiaire signale « à ce sujet que, par note Az: V ju a21.1728/41-Edestab Ie 3386/41 du 19 septembre 1941, le Commandant des forces militaires allemandes en France a ordonné que la libération des français du sexe masculin arrêté pour activité communiste ou anarchistes ne pourra âtre possible sans son accord ».
Effectivement, Roger Tessier n’est pas libéré : le jour même, le préfet de police signe un arrêté ordonnant son internement administratif en application du décret du 18 novembre 1939.
Deux jours plus tard, Léocadie Tessier écrit au préfet de police pour le prier « de rendre un bon fils à sa mère ». En effet, celui-ci est son seul soutien : elle a été expulsée de leur domicile de Montreuil et se trouve dans un centre d’hébergement à l’annexe de Charenton, au 5 bis, rue Pasteur, raison pour laquelle la mairie de Montreuil ne lui verse plus aucun secours. Une note de police du 20 janvier indique « avis défavorable RG, Libération impossible ». Le lendemain, Le chef du 1er bureau de la préfecture de police écrit au commissaire de police de la circonscription de Charenton pour lui demander de « faire connaître à l’intéressée que sa demande ne peut être favorablement accueillie dans les circonstances actuelles ». Convoquée au commissariat, Madame Veuve Tessier a communication du rejet de sa demande une semaine plus tard, étant partie à Poitiers quelques jours, peut-être pour essayer de voir son fils.
En effet, entre temps, le 3 janvier 1942, Roger Tessier a fait partie d’un groupe de 38 internés politiques (dont 16 futurs “45000”) et 12 “indésirables” (droit commun) extraits du dépôt et transférés au “centre de séjour surveillé” (CSS) de Rouillé (Vienne). Ils ont été conduits en car, sous escorte, jusqu’à la gare d’Austerlitz où les attendait un wagon de voyageurs réservé (10 compartiments ; départ 7h55 – arrivée 18h51).
Le 18 mars 1942, Roger Tessier est parmi les treize “jeunes” communistes « extraits par les autorités allemandes et transférés, pour des raisons qui n’ont pas été indiquées » au camp de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager) ; tous sont de futurs “45000” sauf André Giraudon, de Bourges, fusillé au Mont-Valérien le 9 mai 1942. Roger Tessier est enregistré à Royallieu sous le matricule n° 3797.
Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Roger Tessier est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 46263 (aucune photo de détenu de ce convoi n’a été retrouvée après le matricule 46172).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, Roger Tessier est probablement dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.
En effet, à une date restant à préciser, il est admis au Block 28 de l’hôpital des détenus.
Il meurt à Auschwitz le 18 mars 1943, selon une copie du registre de la morgue (Leichenhalle) relevée clandestinement par la résistance polonaise interne du camp, et où est inscrit le matricule n° 46263 (ce local de stockage des cadavres est situé au sous-sol du Block 28) ; il a tenu huit mois.
Le 14 novembre 1949, le préfet de la Seine, pour la direction interdépartementale des Anciens combattants et Victimes de la guerre, écrit au directeur des Renseignements généraux de la préfecture de police pour lui demander des renseignements au sujet de Roger Tessier afin de statuer sur le droit à l’inscription de la mention « Mort pour la France » sur son acte de décès. La mère de celui-ci habiterait alors au 23, rue du Château à Asnières.
La mention “Mort en déportation” est apposée sur l’acte de décès de Roger Tessier (J.O. du 23-06-2000).
Notes :
[1] Montreuil-sous-Bois : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 385 et 421.
Cl. Cardon-Hamet, notice in 60e anniversaire du départ du convoi des 45000, brochure répertoriant les “45000” de Seine-Saint-Denis, éditée par la Ville de Montreuil et le Musée d’Histoire vivante, 2002, page 30 et 31, citant : Daniel Tamanini, de la FNDIRP de Montreuil (lettre du 23-4-1989) – Témoignage de Georges Guinchan, de Montreuil (rescapé) – Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen (fichier central).
Archives de Paris : archives du tribunal correctionnel de la Seine, rôle du greffe du 28 mars au 5 juin 1941 (D1u6-5855) ; jugement du 5 avril 1941 (D1u6-3744).
Archives Départementales du Val-de-Marne, Créteil : Maison d’arrêt de Fresnes, dossiers individuels des détenus “libérés” du 20 au 31 octobre 1941, mandat de dépôt/ordre d’écrou ; extrait des minutes du greffe (511w28).
Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles (SMAC), Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “occupation allemande” : camps d’internement… (BA 2374) ; dossier individuel au cabinet du préfet (1 W 988-48806) ; archives des Renseignements généraux, registre des affaires traitées et des personnes arrêtées (GB 29).
Archives départementales de la Vienne, Poitiers : camp de Rouillé (109W75).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 17-03-2024)
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En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.