Yvonne Vauder naît le 25 janvier 1907, à Brest (Finistère), dans une famille de la bonne bourgeoisie locale.
À dix-huit ans, elle termine à Paris ses études secondaires en ayant obtenu le baccalauréat et décide d’y rester.
Pendant plusieurs années, elle travaille comme attachée au service de presse chez Gallimard. Elle fait la connaissance des jeunes écrivains de la maison : Pierre Unik, Drieu La Rochelle, Saint-Exupéry. Des destins.
En 1931, elle adhère à l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires (AEAR) qui a entrepris de monter des bibliothèques prolétariennes dans les usines. Yvonne s’occupe activement de ces bibliothèques. C’est à cette époque qu’elle rompt avec son père, conseiller municipal d’extrême-droite à Brest.
En 1937 , elle quitte Gallimard pour devenir secrétaire de rédaction de Visages du Monde, publication dont Roger Pillement est le rédacteur en chef.
La même année, elle épouse René Blech, français né en 1900 à Bruxelles (Belgique), romancier, alors membre du Parti communiste depuis deux ans, secrétaire de rédaction de Commune, revue de l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires (AEAR), pour laquelle il est également chroniqueur de livres. René Blech devient secrétaire de la « Maison de la Culture », regroupant plusieurs associations culturelles et dont Aragon est le secrétaire général. Le domaine de René Blech est notamment celui des organisations de théâtres et de cinéma.
En 1938, Yvonne Blech est rédactrice à Regards, hebdomadaire illustré dont Édouard Pignon est le metteur en page, et elle adhère au parti communiste.
À l’automne 1939, Regards est du nombre des multiples publications interdites à la suite du pacte germano-soviétique. Yvonne Blech fait des corrections chez elle pour Gallimard. Elle relit les épreuves des volumes de La Pléiade ; le Paul Valéry est le dernier ouvrage qu’elle a revu.
Au début de la guerre, René Blech, son mari, entre dans le réseau clandestin des intellectuels communistes. Sous le pseudonyme de “Jacques Bonhomme”, il serait l’auteur du poème Pétain, paru dans le premier numéro de la revue clandestine La pensée, fondée par G. Politzer, J. Solomon et J. Decour. Tout en menant une vie apparemment sans mystère, Yvonne Blech assure le ravitaillement de son mari.
Le 3 mars 1942, les inspecteurs des brigades spéciales laissent échapper René Blech qu’ils traquent dans le cadre des filatures de l’affaire Pican-Cadras-Politzer. Ils vont à son domicile connu, trouvent Yvonne, fouillent l’appartement, n’y voient aucune trace de René Blech, aucun papier compromettant.
Yvonne prétend qu’elle est séparée de son mari et est en instance de divorce, Toutefois, alors qu’ils sont prêts à quitter le domicile d’Yvonne, les inspecteurs reconnaissent le parapluie de son mari…
Le 10 mars, elle passe des bureaux des Renseignements généraux au dépôt de la préfecture de police.
Le 23 mars, elle est conduite à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e), et y reste cinq mois au secret.
Le 24 août, Yvonne Blech est parmi les trente-cinq détenues transférées au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas (Seine / Seine-Saint-Denis), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122. Elle y est enregistrée sous le matricule n° 649.
Le 22 janvier 1943, Yvonne Blech fait partie des cent premières femmes otages transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne : leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquant « transférée à Compiègne le 22.1 » (22.1 Nach Compiègne uberstellt). Le lendemain, un deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris). Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.
Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites à la gare de marchandises de Compiègne – sur la commune de Margny – et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille. Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).
En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL [1] Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit. Le lendemain matin, après avoir été descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.
Le numéro matricule d’Yvonne Blech à Auschwitz est peut-être le 31653, selon une correspondance établie avec le registre des internés du Fort de Romainville.
Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail dans les Kommandos, mais pas de corvée.
Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie policière allemande : vues de trois-quart, de face et de profil (la photo d’immatriculation d’Yvonne Blech n’a pas été retrouvée).
Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive). Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.
Charlotte Delbo témoigne : « Elle avait été prise de dysenterie pendant le voyage. Elle a tenu autant qu’elle a pu, droite, le menton levé. Puis elle a dit : “Je sais que nous gagnerons. Mais la guerre durera encore deux ans et moi je ne tiendrai pas deux mois. » Elle est entrée au Revier. [2] »
Yvonne Blech meurt au sous-camp de femmes de Birkenau (B-Ia) le 11 mars 1943.
René Blech poursuit son activité de résistance. Il regroupe notamment des professionnels de cinéma, acteurs, metteurs en scène et journalistes, hostiles à la Collaboration et fonde L’Écran français, organe clandestin des comités du cinéma du Front national dont le premier numéro est publié en décembre 1943, et qui paraît encarté dans Les Lettres françaises à partir du 10 mars 1944.
Notes :
[1] KL : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilise l’abréviation “KZ”.
[2] Revier. Selon Charlotte Delbo : « abréviation de Krakenrevier, quartier des malades dans une enceinte militaire. Nous ne traduisons pas ce mot que les Français prononçaient révir, car ce n’est ni hôpital, ni ambulance, ni infirmerie. C’est un lieu infect où les malades pourrissaient sur trois étages. ». In Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 24. Le terme officiel est pourtant “hôpital” ; en allemand Häftlingskrakenbau (HKB), hôpital des détenus ou Krakenbau (KB). Dans Si c’est un Homme, Primo Lévi utilise l’abréviation KB.
Sources :
Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), page 43.
Nicole Racine, notice biographique de René Blech, site du Maitron en ligne, dictionnaire biographique du mouvement ouvrier, mouvement social, Éditions de l’Atelier.
Auschwitz 1940-1945, Les problèmes fondamentaux de l’histoire du camp, ouvrage collectif sous la direction de Wacław Długoborski et Franciszek Piper, éd. du Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau à Oświęcim, Pologne, version française 2011, volume IV, La Résistance, Henryk Swiebocki, pages 134 à 136.
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 14-08-2024)
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