Yvonne, Marie Le Maguer naît le 30 mai 1911 à Languidic (Morbihan – 56), fille de Pierre Le Maguer, 30 ans, « domestique de ferme », et de Marie Le Mentec, 25 ans. Comptant trois enfants, la famille s’installe à Hennebont (56) au début de 1914.
La guerre éclate au début du mois d’août. Le père de famille – qui a accompli son service militaire en 1901 – est mobilisé comme soldat de 2e classe au 87e régiment d’infanterie. Le 21 novembre suivant, à l’ambulance n° 6 de Sainte-Ménéhould (Marne), il succombe des suites de blessures de guerre.
Yvonne est élevée à Hennebont.
Elle devient aide-soignante à l’hôpital de Béziers (Hérault). En 1933, elle épouse un de ses collègues, Georges Jean Courtillat, né le 17 janvier 1909 à Vierzon-Ville (Cher)..
En 1939, le couple quitte Béziers pour Vierzon (Cher), où le mari est employé à l’hôpital.
En septembre 1942, Yvonne Courtillat est arrêtée par la Gestapo alors qu’elle assure le passage de la ligne de démarcation entre zone occupée et zone “libre”. En effet, sa maison, rue Grelon à Vierzon, est située le long du Cher, en zone sud. Elle est probablement en liaison avec Gabrielle Bergin dont le café, Le Bois d’Yèvre, se trouve sur la rive opposée. Yvonne Courtillat est appréhendée au moment où elle franchit la rivière à gué pour aller chercher des gens qui l’attendent de l’autre côté, au moment même où elle met pied en territoire occupé. Elle a été dénoncée, comme Gabrielle Bergin. Elles sont probablement emprisonnées ensemble à Vierzon, puis à Orléans.
Le 13 novembre, elles sont toutes deux transférées au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas [1] (Seine / Seine-Saint-Denis), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122, où Yvonne Courtillat est enregistrée sous le matricule n° 1208.
Le 22 janvier 1943, cent premières femmes otages sont transférées en camion au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquent « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 22.1 »). Le lendemain, Yvonne Courtillat et Gabrielle Bergin font partie du deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police, à Paris). Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.
Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille.
Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).
En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL Sachsenhausen [2], tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit. Le lendemain matin, après avoir été descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.
Yvonne Courtillat a peut-être été enregistrée dans le camp sous le matricule 31799, selon une correspondance possible avec les matricules reçus au fort de Romainville (la photo d’identification de la détenue portant ce numéro n’a pas été retrouvée).
Le matricule de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.
Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail.
Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie : vues de trois quarts, de face et de profil (la photo d’immatriculation de Gabrielle Bergin n’a pas été retrouvée ou identifiée).
Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive). Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.
Yvonne Courtillat meurt au camp de femmes de Birkenau le 20 avril 1943, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp. Aucune rescapée n’a pu témoigner de son sort.
Georges Courtillat meurt de maladie quelques mois après l’arrestation de son épouse. Son fils, âgé de onze ans en 1942, est élevé par sa grand-mère maternelle, à Hennebont ; sa fille, âgée de neuf ans, par le grand-père paternel à Vierzon.
Fin 1960, au terme de recherches effectuées par la mairie de Vierzon, les enfants apprennent que leur mère est morte à Auschwitz ; ils ne savaient pas qu’elle avait été déportée.
La mention « Mort en déportation » est apposée sur l’acte de décès d’Yvonne Courtillat (JORF du 29 janvier 1988, arrêté du 18 novembre 1987).
Sources :
Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), page 76.
Archives départementales du Cher (AD 18), site internet du conseil départemental, archives en ligne, registre des naissances de Bourges, année 1894 (3E 4902), acte n° 758 (vue 380/425).
Marion Queny, Un cas d’exception : (…) le convoi du 24 janvier, mémoire de maîtrise d’Histoire, Université Lille 3-Charles de Gaulle, juin 2004, notamment une liste réalisée à partir du registre de Romainville (copie transmise par Thomas Fontaine), pp. 197-204, et p. 114.
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué) ; 120 actes retrouvés pour les « 31000 » ; tome 2, page 186 (18909/1943).
MÉMOIRE VIVE
(dernière modification, le 15-12-2015)
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Notes :
[1] Les Lilas : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne” (transfert administratif effectif en janvier 1968).
[2] KL : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilise l’abréviation “KZ”.